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Sous les apparences,

14 novembre 2022

Le jour où l'on reprend les bonnes habitures... du Dr Caso:)

Voici donc quelques semaines que j'avais fait une pause, faute de temps. Ne croyez pas que j'ai à présent plus de temps, mais simplement, je suis libérée (déliiiiiivrééééée) de mon histoire.

Alors, commençons !

  • Comment avez-vous passé Noël dernier, et comment espérez-vous que le Noël qui vient sera similaire ou différent?

Le jour de Noël nous sommes allés au restaurant avec les parents de J puisqu'il était déjà compliqué de réunir les enfants. Nous avons donc fêté Noël, tous ensemble, le 1er de l'an. Les Noël recomposés sont compliqués à organiser...

Cette année, ce sera encore un Noël différent puis nous avons trois enfants à nous deux, et les trois sont dans le milieu médical, et deux de leurs conjoints. Hu hu hu... et à cela s'ajoute une première petite fille née il y a maintenant un mois, et une deuxième qui s'annonce pour janvier, à mille kilomètres d'ici. Nous fêterons donc peut être Noël en février, cette année... 

  • Etes-vous plutôt sports d’été (surf, plage) ou sport d’hiver (ski, raquettes)?

On a le droit de ne plus être sport, du tout ?

  • Qu’avez-vous un jour aimé (musique, nourriture, endroit, personnes) que vous n’aimez plus aujourd’hui?

Mon premier mari ? Pour le reste, je ne vois pas trop... je suis constante dans mes goûts !

  • Quel genre de livres aimez-vous? BD? Romance? Mystères? Policier? Histoire? Biographies? Romans historiques? Autobiographies?

J'ai une prédilection pour les romans, les biographies, les essais... Je ne lis pas de policier depuis que j'ai passé une nuit, terrorisée sous ma couette, après la lecture d'un Maxime Chattam, sur les conseil de l'Homme de 2009... sourire

  • Qu’emportez-vous toujours avec vous, dans vos poches ou votre sac à main, où que vous alliez?

J'ai toujours trois trousseaux de clés (je n'ai toujours pas compris pourquoi, mais les clés de Limoges, de C et de la maison ne peuvent pas être ailleurs qu'avec moi, comme si je voulais être sûre de savoir que je peux y aller à tout moment...), mon portable, des mouchoirs, un rouge à lèvres, un carnet, et ma trousse. Mon sac pèse le poids d'un âne mort, c'est terrible !!!

Et puisque j'ai pas mal de retard, je vais remonter peu à peu les questionnaires zappés :

  • Qu’est-ce qui rend votre job plaisant ou non?

Soyons honnête, je m'éclate tellement moins que je ne m'éclatais avant, lorsque j'étais en poste de direction... Mais j'ai néanmoins la chance de gagner correctement ma vie, de ne plus devoir vivre avec mon portable collé en permanence à l'oreille à cause des astreintes, de bosser avec une équipe super et d'être, globalement, assez indépendante et autonome, avec des journées qui sont loin de me faire tomber dans la routine !

  • Qu’avez vous fait dimanche dernier?

Suis-je la seule à toujours avoir un problème d'interprétation avec dimanche dernier ? Hier ou le dimanche précédent ? Naturellement, je penserais au dimanche de la semaine précédente, mais puisque j'aime beaucoup mon dimanche d'hier, je vais vous raconter que je suis allée découvrir un resto étoilé et son menu à 38 euros, TOUT COMPRIS ! Bleck, si tu me lis et si tu passes par ici, il faut ABSOLUMENT que tu y ailles... L'entrée était dingue ! une explosion de papilles... un œuf émulsionné à je ne sais plus quoi avec des cèpes. Je crois, vraiment, n'avoir jamais rien mangé d'aussi bon ! Et puis ensuite, nous sommes allés voir une petite expo sur la correspondance de guerre... et c'était aussi et surtout un beau dimanche parce qu'il s'est terminé par un coup de fil de mon fils et une bonne rigolade.
QU'est-ce que je l'aime !!!

  • Quel est votre rapport avec votre famille?

J'ai une très chouette famille depuis que je n'ai plus ma mère. C'est dur à dire, ça, mais je dois l'avouer.
En revanche, j'ai une belle famille compliquée, pathogène et très chiante. Putain, soit j'ai pas de chance, soit y'a un truc. Est-il possible d'avoir une belle famille agréable et facile ? Est-ce moi ?

  • Quel est le titre du dernier livre (toutes catégories hein, roman, poésie, théâtre, cuisine, sociologie, psychologie, bd, voyage…) que vous avez lu? Pourquoi l’aviez-vous choisi? et vous a-t-il plu?

Je suis en train de lire "la décision", de Karine Tuil. Je ne sais pas pourquoi je l'ai choisi, sans doute après en avoir lu une critique m’interpellant quelque part. J'ai eu du mal à entrer dedans, je vais assurément avoir beaucoup de mal à en sortir tant il est palpitant et implacable.

  • Si vous deviez changer une chose dans votre vie, ce serait quoi?

Je crois que j’aimerais régler définitivement mon problème de poids… et le premier qui me réponds que j'ai la solution trois questions plus haut, je le catapulte :)

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8 novembre 2022

Printemps - That's all fols !

Ce fut raide, vous l'aurez compris, et ça reste raide, aujourd'hui encore, à certains moments.

Vous aurez également compris que cette narration était thérapeutique et qu'elle m'a aussi bien secouée mais je suis contente de l'avoir menée à bout ; je crois que j'avais besoin de fermer la porte. Voilà chose faite.

Je vous épargnerai les étapes suivantes qui n'auraient un intérêt que très relatif et vais me positionner directement au 22 février 2021.

Pourquoi le 22 février 2021 ? Parce que le 22 février, c'est la Sainte Isabelle et que ce lundi matin, en arrivant au bureau, j'ai pensé à cette sœur utérine qui était potentiellement quelque part dans la nature.

J'utilise peu Tw*tter, comme Fac*book mais ce matin-là, j'ai publié ce message :

"Aujourd'hui est la Sainte Isabelle. Je recherche ma sœur utérine née à Tulle (19), sous ce prénom, le 4 ou le 5 octobre 1963, née sous X. Ceci est le premier pas d'une sans doute longue et bien difficile quête. Je suis preneuse de tout conseil et toute aide de recherche".

Ce tweet a reçu plein de réponses bienveillantes (cœur sur elles) et trois aides potentielles :
- quelqu'un me donnait un groupe Faceb*ok ;
- quelqu'un d'autre me donnait l'identité d'une journaliste à contacter ;
- et enfin, un médecin de ma TL m'orientait vers une recherche par le numéro sécurité sociale, ce à quoi je n'avais même pas pensé !!

Le lendemain matin, je suis allée inscrire ce même message sur le groupe faceb*ok proposé.

Et le soir, 20h49, un message sur messenger s'affiche d'une certaine E.. M.... :

- Bonjour, c'est vous qui cherchez votre sœur Isabelle ?
- Oui, bonsoir c'est bien moi. Ma soeur utérine dont j'ai appris l'existence il y a quelques semaines...
- J'ai trouvé une dame se prénommant Isabelle née le 05/10/1963. J'ai un numéro de téléphone fixe si vous voulez.
- Mais comment avez-vous trouvé ? J'ai le cœur qui bat, vous savez...
- Je ne peux pas vous assurer que ce soit elle. Mais c'est une bonne piste je pense. Attendez, je suis à vous dans cinq minutes, excusez-moi, je couche mes enfants. Je fais vite, je me doute que vous êtes pressée.

A ce moment, j'ai senti l'arnaque. C'était trop gros... la nana qui en cinq minutes a trouvé cette frangine mais qui part coucher ses enfants... nomého, à d'autres hein !

21h19 :

- Alors, la dame que j'ai trouvée s'appelle Isabelle XX, et habite à Machin de Truc. Son téléphone est le 05.6xxxxxxx
- Mais c'est dans le Lot, ce n'est pas très loin de Tulle ! Cette dame est née sous x ?
- Savez-vous si votre sœur a un deuxième prénom ?
- Aucune idée...
- Comment avez-vous découvert son existence ?
- J'ai découvert ce secret de famille, qq semaines avant le décès de ma mère ? Une cousine m'a conseillé de parler avec ma mère de notre relation si particulière (difficile)
- Avez-vous, vous même été adoptée, ou juste votre sœur ?
- Non, mes grands-parents ont isolé ma mère pendant sa grossesse dans une maison qui accueillait des jeunes filles enceintes et l'ont contrainte à abandonner cet enfant.
- quelle horreur !
- Ensuite, ma mère a épousé mon père et je suis née.
- C'est donc votre mère qui vous a dit tout ça ?
- Pourriez-vous me dire comment vous avez trouvé cette personne ?
- Je suis désolée, je ne peux pas ! Si je vous le disais je ne pourrais plus jamais aider personne. En espérant que je puisse vous aider, déjà.
- Ah d'accord, c'est troublant. Mais je vais appeler cette dame demain, avec certitude !
- Oui, appelez cette dame demain, si le numéro n'est plus d'actualité, je vous retrouverai son adresse ; si ce n'est pas elle, je vous partagerai des groupes de recherche qui sont assez actifs pour poster dessus.
- Mais c'est incroyable tout cela !!!
- Votre histoire est incroyable, mais malheureusement tellement répandue.
- j'ai 54 ans et le ciel m'est tombé sur la tête. Ma mère est morte en deux mois et j'ai une demi frangine qui me tombe du ciel
- Oui, c'est dingue. Vos grands parents sont j'imagine dcd ?
- Oui, bien sûr, et il vaut mieux pour eux ! Mes cousines et moi sommes tellement en colère contre eux !

[le reste de l'échange n'a pas d'importance...]

 Inutile de vous dire que le lendemain, 11h45, je compose le numéro de téléphone... et tombe sur un répondeur. J'avais auparavant tenté de recherches des infos sur le net et ce nom existait bien, à cette adresse là, et elle s'était mariée quelques années auparavant...

12h15, je rappelle et... une voix de femme décroche :

- Bonjour, je m'appelle RdT et mon nom ne vous dira rien mais je suis à la recherche de ma sœur utérine. Vous prénommez-vous Isabelle et votre numéro de sécurité sociale commence-t-il par 2 63 19 272...
- Je m'appelle bien Isabelle, c'est bien mon numéro de sécurité sociale et j'ai été adoptée.
- Alors si c'est ça, je pense que nous sommes sœurs utérines.
- ... Mais depuis le temps que j'attendais cet appel ! Mais comment m'avez-vous trouvée ? Ca fait tellement d'années que je cherche ma mère.
- blablablablabla...
- blablablablabla...
- Oh je vais tout de suite appeler mon mari et ma fille, pour leur dire... Maintenant ,je peux mourir tranquille, je sais d'où je viens !

Voilà, j'ai retrouvé ma sœur utérine en moins de 48 heures ! Même pas en rêve je n'aurais pu l'imaginer ! C'est un truc de dingue. Vraiment.

Nous nous sommes vues une première fois deux heures en août dernier. Je flippais comme une malade à l'idée qu'elle ressemble à ma mère, ce qui, en dehors des yeux, n'est pas le cas. Enfin, mon mec et mon fils ont trouvé que c'était son portrait craché, moi je ne l'ai pas vu, et ça me va très bien comme ça.

Nous sommes en contact, et nous sommes revues en septembre, lors de ma première interruption de bloggage. J'avais besoin de prendre du recul avant de la revoir. Nous avons partagé un après midi et une balade puisqu'elle était en vacances dans la région.

Ce ne sera jamais ma sœur, je suis de celles qui considèrent que les liens du sang sont bien accessoires face aux liens du sang, mais elle est attentionnée et bienveillante, profondément gentille et ça me va bien.

Elle a une histoire de vie très particulière, et nous partageons une relation bien compliquée avec nos mères, la nôtre pour ma part, et sa mère adoptive de son côté.
Elle a deux enfants, bientôt trois petits-enfants, et ça m'amuse lorsque sa fille m'envoie un message "coucou Tatie avec un smiley" pour prendre des nouvelles. Nous nous écrivons pour les vœux, pour les anniversaires, nous partageons le goût de la lecture et de la convivialité.

Je suis contente d'avoir bouclé cette histoire, heureuse également d'avoir pu lui permettre de retrouver, à défaut de son père mort, un cousin paternel qui a pu lui parler de son père, même si ce portrait paraît aux antipodes de celui que ma mère m'avait dressé de lui.

Mais nous avons décidé que ça suffisait avec les morts ; nous étions vivantes et devions nous intéresser à nous à présent...

 

3 novembre 2022

Hiver - Epilogue part two

N est donc passée, à 18h30. Quand elle a vu l'état de Maman, avant même que je n’ouvre la bouche, elle m'a dit spontanément : pas de dextro... et évidemment, dès demain matin, j'appelle l'HAD.
Nous sommes sorties de la chambre et nous avons discuté. J'étais prête. J'avais promis qu'elle ne souffrirait pas, je ne voulais pas qu'on l'embête. Qu'elle n'ait pas de toilette intimer, dès lors qu'elle était confortable, n'avait aucune importance. Je voulais juste qu'on lui foute la paix, comme j'imagine que j'aimerais qu'on me foute la paix, le jour où. Il a un peu fallu batailler avec le SSIAD pour les sortir de leurs protocoles afin qu'ils n'acceptent de ne faire qu'un tout petit soin de bouche auquel elle a réagi en grimaçant, et un change avec le moins de mobilisation possible et le mot d'ordre "on la laisse tranquille" a été partagé et appliqué par tout le monde !

J'étais soulagée.

Avec du recul, ce qui me questionne aujourd'hui en l'écrivant, c'est que j'ai l'impression d'avoir vécu ces heures comme une machine, déchargée de toute émotion. Quand on me connaît, c'est extrêmement troublant, et pourtant, je me souviens parfaitement de ces heures, je faisais ce qu’il fallait, comme un brave petit soldat, ni trop, ni trop peu, mais froidement. Par ailleurs, mes pensées étaient tournées vers cette sœur utérine, qui ne connaîtrait jamais sa mère et qui, peut-être, était-elle morte elle aussi puisqu’elle avait 57 ans. Je suis athée, je ne crois en rien, mais aussi bizarre que cela puisse paraître, l'idée qu'elle soit morte et qu'elles se rejoignent m'a effleurée... Faut il être con, parfois !

Le samedi et le dimanche, G et moi avions beaucoup discuté de cette fin de vie, du moment, de l’organisation, de ce que nous voulions et ne voulions pas. G, qui avait vécu l'agonie de son grand père près de dix ans auparavant, m'a seulement demandé de ne pas assister à l'agonie de sa mamie, encore marqué par la dernière respiration de son papi. Nous en avons, enfin, parlé, de ce moment, et pour la première fois car il était enfin prêt à l'aborder ; j’avais tenté de le faire tellement de fois tout au long de ces années puisque j'étais opposée à ce qu'il subisse ça, et je n'avais pas réussi à l'en dissuader... Il m'a dit qu'il était heureux de l'avoir fait, qu'il ne le regrettait nullement, mais que c'était trop dur, qu'il ne voulait pas le revivre une seconde fois.

Nous avons été immensément entourés sur ce week-end du 1er de l'an, tout le monde s’est manifesté, sans jamais nous présenter ses vœux, ni ne nous parler de quoi que ce soit. Tout le monde savait que c’était imminent mais personne ne nous parlait de ça.

Lundi 4 janvier, à 11h30, le médecin des Soins Pa' m'a appellée et nous avons longuement échangé. Nous nous connaissons bien, c'est confortable cette confiance. Nous avons convenu que oui, il était grandement le moment de pousser un peu d'hypn*vel pour rendre maman aussi confortable que possible et apaiser cette souffrance qu'elle manifestait au travers de grimaces régulières. Quelques jours auparavant, elle avait crié "Maman" ce qui, pour moi, fut un moment immensément difficile. Appelle-t-on toujours sa mère, au moment de mourir ? Papa ne l’avait pas fait (en ma présente tout du moins), mais nombre de résident.e.s accompagné.e.s l’avaient fait, alors que leur trouble du mot était manifeste. Pourquoi ? Comment ? Quel étrange moment que celui-ci...

J’avais été très présente auprès de Maman une grande partie de la matinée du lundi, reléguant à l’intervenante à domicile le ménage et la préparation de notre repas. Présente mais silencieuse, avec les idées qui vagabondaient, repensant avec toujours autant de stupéfaction à cette carapace qu’elle s’était forgée au fil des années pour s’emmurer dans son secret, assise à côté d’elle, ma main sur sa main, dans ce silence rythmé uniquement par le concentrateur à oxygène.

Mais j’étais sereine, apaisée, et ne vivais pas du tout ce moment comme j’avais vécu ce moment pour Papa, neuf ans plus tôt. Je pensais à l’après, qu’allais-je faire de tout cela ? Comment allais-je m’organiser ? J’allais donc être celle qui rompt l'histoire familiale vieille de cent cinquante ans… celle qui allait briser le travail acharné de ces quatre générations qui s’étaient succédées sur cette terre pour en faire ce qu’elle était devenue aujourd’hui.

A 13h15, l'infirmière de l'HAD était là. C'était le moment.

Vous dire tout ce qui m'est passé par la tête à cette seconde est impossible mais une chose est certaine, c’est que toute l’émotion absente (ou refoulée) de ces deux longs mois s’est concentrée sur ce moment, et que dès que l’infirmière de l’HAD a sorti la seringue électrique, j’ai explosé en sanglots et un flot inextinguible de larmes débordait de mes yeux, sans que je ne puisse ni me calmer, ni même tenter de me ressaisir. Et en y repensant, des larmes perlent à nouveau dans mes yeux.

Je prenais vraiment conscience que ma mère allait mourir, et que si jusqu’alors j’avais tout « orchestré » avec distance, le boomerang me prenait en pleine poire, et c’était aussi violent que cette distance avait été grande.

L’infirmière a attendu que je sois prête, une bonne heure, pour qu’apaisée, je puisse enfin parler à maman et lui dire ce que nous étions en train de faire, comme je l’avais fait avec Papa.
G se tenait près de nous, il pleurait doucement, en silence, ce qui, quelque part, me soulageait puisqu’il n’avait pas versé une larme pour Papa.

Je crois que la mort de Maman nous a réconciliés, l'un et l'autre avec nous-mêmes des conditions de la mort de Papa.

Lorsque l’infirmière est partie, nous sommes restés un petit moment auprès de Maman, puis j’ai dit à G que j’avais à lui parler. J’ai préparé un thé, quelques madeleines, et nous sommes partis nous installer, confortablement, sur le canapé. Les madeleines au chocolat guérissent de tout... sourire.

J’ai alors levé le secret de famille en lui expliquant, aussi précautionneusement que je le pouvais, tout ce que je savais, et comment je le savais, mais aussi la promesse faite à maman de ne pas lui en parler tant qu’elle était consciente, mais mon refus de ne lui en parler qu’après sa mort afin qu’il puisse, s’il en avait besoin, aller lui dire ce qu’il en pensait.

Il a accusé le coup, comment aurait-il pu en être autrement, et tout de suite m’a dit qu’il lui en voulait d’avoir tu ce secret après la mort de son grand père. Il est allé un petit moment auprès de sa grand mère, et il est revenu. Je les ai laissés ; il avait sans doute des choses à lui dire.
Le thé était froid, j'en ai refait. Et nous avons pleuré, nous avons ri, et ce moment fait partie des moments les plus forts que j'ai pu partager avec mon fils. Près de deux ans après, je me mesure la chance d’avoir un enfant de cette trempe, et il y a un avant, et un après dans notre relation mère/fils.

La soirée fut aussi paisible que possible, adoucie par les nombreuses visites reçues. Quelle chance, mais quelle chance d’avoir été entourés de cette façon là par notre famille, et nos amis. La maison de mes parents a toujours été un lieu ouvert à l’autre, tant et si bien que parfois, cela m’exaspérait de ne « jamais pouvoir être tranquille ». Ce soir là, je m’en suis ô combien félicitée.

La nuit s’est écoulée. P, mon frère de cœur, est resté avec nous jusqu’à deux heures du matin ; Maman restait paisible, dormait… et ne réagissait plus, le sédatif faisant son effet.

Je me suis levée à 4 heures, à 5 heures, puis à 6 heures et demies. J’ai peu dormi, cette nuit là. Sa respiration restait régulière, douce, je suis repartie me coucher sereine.

A 7 heures et quart, G. s’est levé et nous sommes descendus ensemble. Pendant que j’ouvrais les volets, il a mis une lumière douce dans la chambre de sa grand’mère, puis il s’est retourné vers moi et m’a dit, interloqué : "Mais Maman, elle ne respire plus !"

Je suis alors allée vers eux et, effectivement, elle ne respirait plus. Maman était morte, discrètement, sur la pointe des pieds, pendant la petite heure qu’a duré mon absence. Mais je n’étais pas triste de ne pas avoir été là ; j’étais en paix, triste, bien sûr, mais en paix.

Je ne pouvais pas faire plus que ce que j’avais fait, du début à la fin, quoi que ça m’en ait coûté.

2 novembre 2022

Hiver - Epilogue part one

La première nuit fut épique : Maman avait sans doute très envie de savoir si sa nouvelle montre, reliée à la téléassistance, fonctionnait... et preuve est qu'elle fonctionnait au regard du nombre de fois où j'ai dû me lever. La première fois, elle a sonné pour s'assurer que tout était effectivement en ordre ; une deuxième parce qu'elle avait soif, une troisième car elle était inconfortable et n'avait plus assez de forces pour se tourner dans le lit, une quatrième parce qu'elle était angoissée et ne dormait pas, une cinquième car elle était à nouveau inconfortable, une sixième parce qu'elle avait besoin d'aller aux toilettes...

Ce fut un cauchemar ! J'ai mis cela sur le fait que c'était la première nuit, que les choses allaient se tasser.

La deuxième nuit fut du même tonneau... à la différence que si elle, s'était reposée, avait beaucoup dormi pendant la journée, moi accaparée par l'intendance, les visites, trois passages infirmiers, les deux passages SSIAD, je n'avais même pas eu le temps de faire une sieste.

Le dimanche matin, sur les rotules de deux nuits sans sommeil, j'ai ouvert la porte à l'infirmier telle un zombie et suis repartie me coucher, J et G prenant le relais de l'organisation du petit déjeuner. Maman n'étant plus en capacité de marcher, j'ai mesuré la chance d'avoir deux kinés auprès de moi pour assurer les transferts, comme j'ai mesuré la chance que j'avais d'avoir organisé la vie au rez-de-chaussée, même si elle n'a jamais pu utiliser la salle de bain flambant neuve, les toilettes devant se faire au lit.

Après avoir longuement discuté en aparté avec le cabinet infirmier, le SSIAD, l'Equipe de l'HAD sur cette exigence et ce qu’elle engendrait pour moi, le lundi soir, j'ai posé fermement le contexte : l'accompagnement à domicile reposant exclusivement sur ma capacité à l’assumer, si elle tirait trop sur la corde, je ne serais plus en mesure d'assumer et il faudrait réenvisager une hospitalisation. Et je le lui ai dit !
J'étais prête à aller très loin dans l'accompagnement de ma mère, mais mon métier m'avait appris que chacun d'entre nous a ses propres limites et que pour l'équilibre de tout le monde, il est indispensable de bien les connaître, de bien les respecter pour ne surtout pas les dépasser. Je suis une gestionnaire, pas une soignante ! Les soins d'hygiène et de confort, c'est vraiment pas mon truc et ceux en direction de ma mère encore moins. Depuis toujours, je suis sincèrement admirative du travail réalisé par les aides-soignants, j'en serais incapable !

Il a donc fallu une dernière grosse engueulade avec ma mère (comme si nous avions besoin de ça, en plus de tout le reste), pour lui faire comprendre que non, j'étais désolée, mais que je n'étais pas en capacité de gérer ses selles. Elle l'a très mal pris, et moi, j'ai très mal pris qu'elle le prenne mal et ne le comprenne pas. Inutile de vous préciser ma culpabilité au moment où elle m'a dit qu'à cause de moi et de mon incapacité à la nettoyer, elle aurait des rougeurs, voire des escarres…?
Les infirmiers ont été géniaux, ils l’ont recadrée sans détour… en lui disant que, d'une part, elle avait beaucoup de chance que je fasse tout ça pour elle, et que j'avais bien raison de me fixer des limites pour préserver notre relation mère/fille, et que d'autre part, même à l'hôpital, des rougeurs elle en aurait puisque personne n'interviendrait dans la seconde où elle sonnerait ! Je ne suis pas sûre que ma mère l’ait compris, mais elle ne m’a plus jamais culpabilisée avec ça.

Après ce gros clash, bizarrement, même les nuits ont été plus calmes. Je me levais une à deux fois par nuit pour l’aider à changer de position, et j'étais tellement KO, que mes 18 marches remontées, je m'engouffrais à nouveau dans le lit pour me rendormir aussitôt.

Le mardi soir, nous l'avons emmenée en fauteuil dans la salle à manger pendant une petite heure puisque nous fêtions Noël avec mon oncle, ma tante, mon cousin et ses enfants. Même si le cœur n'y était guère, ce moment de partage fut important pour tous, tant nous avions fêté de Noël tous ensemble. Mais chacun savait que ce serait le dernier, et je me suis effondrée dans les bras de mon cousin, après avoir recouché Maman.

Le jeudi soir, nous avons "réveillonné" à 20 heures, tous les trois autour de son lit, pour marquer Noël. Elle a mangé sans entrain une micro part de saumon fumé et un petit bout de bûche glacée... et tout le monde était au lit, épuisé, à 21h30.

Le vendredi soir, les enfants de J nous ont rejoints pour "fêter" Noël. Elle est venue à table avec nous une petite heure ; c'est la dernière fois où nous avons eu la force de la sortir du lit, tant l’exercice devenait périlleux ; elle n’avait plus aucun appui.
Les dernières fois se succédaient aux dernières fois, ses forces s'amenuisant.

J est reparti le dimanche soir, après une très grosse engueulade due à son absence de réaction au comportement inadmissible de son fils (29 ans) en pareil moment. Comme si nous avions besoin de ça, comme si l’horreur du moment vécu n’y suffisait pas déjà… Je n’étais pas sûre de le revoir, pas plus que je n’étais sûre d’en avoir envie.
Ce n’était ni la première, ni la dernière engueulade, mais je garde de celle-ci un souvenir très douloureux et une rancune imprescriptible vis-à-vis de son fils, moi qui pourtant n’ai pas un tempérament rancunier.

Le mardi soir, alors que Maman n'avait plus la force de tenir seule son verre, G et moi avons vécu un grand moment : alors que je soutenais son verre comme je le pouvais pour éviter qu'il ne se renverse, elle m'a dit, fermement, une première fois de lâcher son verre, puis une deuxième fois, puis une troisième… Puis, alors que sa voix était pourtant habituellement faiblarde, elle a prononcé d’une voix de stentor : "est-ce que tu vas lâcher ce verre ? ça fait trois fois que je te le dis !"
G et moi nous sommes regardés, et n'avons su si en rire ou en pleurer... G, répondant très calmement à sa grand-mère que si je ne le tenais pas, celui-ci allait se renverser…

Puis, alors que nous venions de la préparer pour la nuit, celle-ci se retourna vers G et lui dit, tendrement : "heureusement que je t'ai, mon petit G chéri"... ce à quoi mon fils, incrédule, a rétorqué "et Maman, Mamie, tu ne crois pas que tu as de la chance de l'avoir elle surtout ?", ce à quoi ma mère a péniblement répondu "ah oui, aussi..."

Et enfin, dans la série des grands moments qui marquent, à jamais, vos souvenirs : le vendredi soir, alors que sa voix n'était plus qu'un souffle et que nous peinions à comprendre ce qu'elle disait et que je lui faisais répéter, elle a mobilisé toute sa force pour me dire, très distinctement et assez clairement "mais ma pauvre RdT, tu es sourde comme un pot, il va peut-être falloir penser à te faire appareiller".
Cette phrase, la toute dernière prononcée par ma mère, fut source d'une longue crise de fou rire entre mon fils et moi, et encore aujourd'hui, nous y faisons souvent référence...

Bref, vous l’aurez compris, la situation était très dégradée et alors que depuis le début de cette maladie, mon angoisse était le moment où G reprendrait la route et dirait, une dernière fois, au revoir à sa grand-mère, j’étais de plus en plus convaincue que je n’aurai pas à vivre ce moment. Il avait repoussé son départ au jeudi, se demandant si, seule, je serai en mesure de faire face aux multiples sollicitations que nous n’étions pas trop de deux pour satisfaire.

Le week-end fut chargé de visites… et en ces temps de premier de l’an, l’atmosphère était assez surréaliste... Ma mère allait mourir prochainement, était-on en droit de me présenter des vœux ?

Au fur et à mesure que les heures passaient, je sentais Maman de plus en plus inconfortable. La tension baissait, les respirations lui étaient pénibles. Je me suis opposée le samedi soir au dexto, à quoi bon, elle ne s’alimentait plus, et ne s’hydratait plus qu’au travers des soins de bouche prodigués. A ce propos, j’ai quand même halluciné d’apprendre aux aides-soignantes l’intérêt du coca ou du jus d’ananas à ces fins… et j’espère, surtout, qu’elles ont inscrit ça dans leurs pratiques.

Le dimanche matin, une discussion assez houleuse a eu lieu avec l’infirmier remplaçant (celui du dextro la veille), car il me semblait que c’était le moment de faire intervenir les Soins Pa’, Maman étant de plus en plus inconfortable.
- mais ils vont faire quoi de plus que nous ?

- Vous ne pensez pas que c’est peut-être le moment de pousser un peu d’hypn*vel…

- On ne pourra pas la piquer, ça sert à rien, regardez ses veines…

- Ils le passeront en sous-cut’

- Pfft, ça ne marche pas en sous-cut ! Comment voulez-vous que ça marche ?

- Si je vous le demande, c’est parce que je sais que ça marche

- Ben je ne vois pas comment, moi, j’y crois pas à l’hypn*vel

- Je ne vous demande pas d’y croire, je vous demande juste d’appeler les soins pa’ puisque nous sommes le week-end du 1er de l’an, qu’elle nous a fait promettre, à son médecin traitant et à moi que nous ne la laisserions pas souffrir, mais il est en vacances

- Vous êtes soignante ?

- Non, je ne suis pas soignante, mais je vous demande juste de le faire, pour elle ! Vous la voyez grimacer non ?

- …

- Qui tourne avec vous ce matin ?

- Je suis tout seul

- Qui passera à midi ?

- Moi, ce sera encore moi

- Et ce soir ?

- Ce sera N...

J’ai donc attendu le soir avec beaucoup d’impatience et avec du recul, je regrette de ne pas avoir appelé, moi-même, l’HAD le samedi pour qu’ils interviennent.

Mais cela me prouve, une fois encore, combien les accompagnements de fin de vie sont aléatoires tant les soignants, quels qu’ils soient, ne sont pas formés !!! et ça, voyez-vous, ça me met dans une colère noire !! On est en 2021 !!!!!

13 octobre 2022

Automne - 16 : la dégringolade.

Le 4 décembre, matin du rendez-vous chez l'oncologue, ma mère a mis plus d'une demi-heure pour descendre les 18 marches de l'escalier tant le moindre effort lui était pénible. Nous ne le savions pas encore, mais elle ne dormirait plus jamais dans son lit et ne remonterait plus à l'étage.
Pour la première fois, ce matin-là, il ne lui fut pas possible de prendre une douche, n'étant plus en capacité d'enjamber la baignoire. Ouf, le plombier intervenait dès le lundi pour la déposer, le carreleur dès le mardi et nous avions bon espoir que le lundi suivant, la salle de bain soit à nouveau opérationnelle, et lui soit, enfin, facilement accessible, y compris en fauteuil.
Nous ne le savions pas encore, mais elle ne remettrait plus les pieds dans cette salle de bain, pas plus qu'elle ne reviendrait aux toilettes...

En écrivant ces mots, je crois que je prends conscience de la fulgurance de cette maladie, et qu'à aucun moment je n'avais conscience de ces DERNIERES fois. Peut-être vaut-il mieux qu'il en soit ainsi... 

Lorsque le Dr SW vit ma mère avancer, en fauteuil, les jambes bandées, nos yeux se croisèrent et je crois y avoir lu une sorte de sidération ; seulement deux semaines s'étaient écoulées depuis la dernière consultation.
J'ai, et j'aurai sans doute jusqu'à mon dernier souffle, et comme vous l'imaginez sans doute, la question du lien. Est-ce que cette dégringolade fulgurante, et cette décompensation cardiaque à l'origine de ces œdèmes, est en lien avec mes questions, et cette sortie du déni ? Je n'aurai évidemment jamais la répondre, mais cette question est récurrente, sans qu'elle ne me "touche" plus que de raisonnable. Je n'ai aucune culpabilité à avoir remué ces vieux, et sans doute douloureux souvenirs.

Avec moult précautions de langage, l'onco a réussi à faire accepter une hospitalisation à Maman pour "vider ses jambes" et l'a assurée d'une histoire de 3/4 jours. L'argument de la salle de bain indisponible, et de la chambre du rez-de-chaussée non terminée ont été des aide à cette acceptation. Et sans doute, aussi, mon effondrement à ce rendez-vous qui a, je pense, alerté l'oncologue.
Je ne suis pas une soignante, vraiment pas, et ma mère me demandait de lui faire, plusieurs fois par jour, des pansements aux jambes puisque la lymphe les "mouillait" très rapidement. Ces soins étaient pour moi un calvaire, et elle peinait à l'entendre. Bref. Ces moments furent tellement pénibles...

Maman a donc été hospitalisée le 4 décembre dans un service sans lien avec sa pathologie, et la première prise de contact, en période COVID, avec ce Service fut pénible et douloureux ! J'ai rarement rencontré un soignant aussi incompétent et maltraitant que cette infirmière qui a fait l'entrée. Mais après réclamation, il semblerait qu'elle n'en était pas à son coup d'essai.

Maman a été transféré le mercredi suivant au service Oncologie, service dans lequel l'accompagnement a été optimal, malgré la période COVID... Comme quoi, l'Humanité a encore un rôle à jouer dans le soin !!!
J'ai retrouvé dans ce service ma copine P qui, elle accompagnait JC, son mari et notre copain, qui lui se battait contre un néo du foie. JC devait partir en retraite fin février... Nous étions début décembre ; il est décédé fin décembre, dans ce service !

Maman a marché, pour la dernière fois, le samedi 12 décembre... un beau fils kiné, ça aide ! Marché est un bien grand mot. Quelques pas serait plus juste...
J'ai pu échanger avec les soignants librement. L'onco, le médecin responsable du service, les IDE, les AS... un trésor de professionnalisme et d'Humanité. Que cet accompagnement m'a été précieux. 

Mon réseau Géronto étant encore bien vivant, le matin du mercredi 16 décembre, Maman avait rendez-vous avec l'Equipe Mobile de Soins Palliatifs. Je crois que l'Onco a plus validé cette demande de rencontre pour me faire du bien à moi, qu'à Maman. J'ai tellement travaillé avec cette équipe, fait de si beaux accompagnements de fin de vie avec eux (c'est d'ailleurs ce que le médecin a confié en préambule à Maman), que j'avais une confiance absolue en leur accompagnement, et j'avais raison de leur faire confiance.

Maman est ainsi revenue à la maison en HAD, merci au SSIAD qui dès le soir l'avait inscrite sur sa tournée) le vendredi 18 décembre, quelques heures avant que n'arrive son petit-fils. La sortie avait été organisée pour que je ne sois pas seule avec elle la première nuit. Elle est arrivée telle une reine, sourire, sur le brancard de l'ambulance, dans une chambre neuve qui fleurait encore bon la peinture... J'avais accroché des cadres pour décorer la chambre, le lit médicalisé était installé, le soulève malade également, le fauteuil garde-robe, la table adaptable... Bref, tout était en place. 

Je ne remercierais jamais assez F., A., les IDE de l'HAD, les IDE du secteur, l'EMSPA, la pharmacie, le prestataire de matériel médical… bref, tout ceux qui ont rendu cela possible... Et assurément, un merci encore plus à G, mon fils, son petit-fils, que j'ai découvert durant cette période... 

Le seul service qui n'a pas été à la hauteur dans ce retour à domicile fut le SAAD... Quelle surprise !!! (non) 

 

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5 octobre 2022

Automne - 15 : Décompensation cardiaque...

Il a donc fallu continuer à avancer et ma capacité à compartimenter m'a été drôlement utile pendant toute cette période. Hu hu hu... Carapace, carapace il disait le monsieur hier soir... tu m'étonnes, Elton !

Le 23 novembre, je l'ai conduite jusqu'au domicile de son frère, 88 ans, qui rentrait d'une longue période d'hospitalisation. Ce moment fut un moment surréaliste. Tout le monde savait, et à présent, savait que je savais. Et pourtant, personne n'a prononcé le moindre mot en lien avec la levée de ce secret de famille.

Ma mère, soucieuse de préserver son grand frère, m'avait posé le cadre avant de partir : je te préviens, "il est hors de question que je dise à mon frère la gravité de ma maladie", il est trop malade pour ça... Lorsque je lui ai répondu que même si pas en grande forme, il était peut-être quand même important qu'ils se parlent pour de vrai... elle s'est opposée avec véhémence.
Et hopla... allons-y gaiement, on continue dans les non-dits...
Mais j'ai respecté ; ça me dépassait mais j'ai respecté... et c'est ainsi que ma mère et son frère se sont vus pour la dernière fois, chacun se doutait sans doute que ce serait la dernière puisque l'un et l'autre étaient sur le fil, mais personne n'a parlé de rien, en dehors de la pluie et du beau temps...
Deux ans après, j'en reste stupéfaite.

En rentrant, après le repas, je lui ai demandé si je pouvais lui poser une nouvelle question... ce qu'elle a accepté. Je lui ai donc demandé comment s'appelait le géniteur d'Isabelle, et si elle acceptait de me donner des infos à son sujet, pour le cas où, un jour, je déciderais de rechercher cette sœur utérine.
Elle m'a alors confié son nom, son prénom, sa profession et son lieu de vie, tout en me précisant qu'il était mort depuis plusieurs années maintenant. Cette précision m'a interpellée car signifiait que, soit elle avait fait des recherches (ma mère était devenue une pro des recherches google...), soit elle était restée en lien avec lui, ou sa famille. Je n'aurai jamais de réponse mais, de mon côté, j'ai fait la recherche sur google et j'ai eu accès à son avis d'obsèques dans la pravda locale, sur lequel j'ai vu qu'effectivement, ils avaient dix ans d'écart et que cet homme était resté célibataire et sans enfant jusqu'à la fin de ses jours... Ça m'a un peu questionnée... et en même temps rassurée car si j'avais accès à ces infos, elle y avait aussi potentiellement eu accès.
Aujourd'hui, je regrette tellement de ne pas lui avoir demandé ce qu'elle aurait voulu que je dise à cette Isabelle... mais tellement ! Et c'est curieux car je crois que c'est bien le seul regret que j'ai, de toute cette période.

Le 25 novembre, l'infirmière coordinatrice du SSIAD est venue pour la première visite. La mauvaise humeur de ma mère n'a eu d'égale, toute la matinée, que sa méchanceté : je faisais du zèle parce que j'étais frustrée de ne plus être en poste de direction, je voulais tout diriger, j'étais un cheval... etc, etc... elle n'avait pas besoin du SSIAD, elle faisait parfaitement sa toilette, et sans la moindre difficulté... et puis l'oncologue était complice puisque c'était elle qui avait rédigé la prescription, etc etc... et qu'est-ce que nous avions, encore manigancé dans son dos... Je précise que j'avais demandé la prescription du SSIAD devant Maman, en lui expliquant pourquoi et elle ne s'y était pas opposée.
Ce fut encore un moment particulièrement éprouvant mais je n'ai pas plié car son hygiène était de plus en plus aléatoire et douteuse et plus les jours avançait, pire c'était... la salle de bain étant en travaux.

En parallèle, l'évaluation APA avait été faite à distance et j'avais briefé maman, juste ce qu’il faut, pour qu'elle soit classée GIR 4 afin que son dossier APA soit en ordre, afin que, lorsque ce serait le moment, la procédure d'aggravation puisse se faire sans délai. Avec le recul, encore une fois, je me dis que j'ai eu beaucoup de chance de baigner professionnellement dans ce milieu.

L'état de santé de maman a continué de se dégrader, lentement mais sûrement, tant et si bien que le 3 décembre au matin, j'ai appelé son médecin traitant pour qu'il la visite car je suspectais une décompensation cardiaque (SIC !) au vu de l'état de ses membres inférieurs. Elle peinait à monter et descendre les escaliers, était excessivement essoufflée, et une très légère griffure du chat sur l'une de ses jambes avait provoqué des écoulements terribles.

A la fin de l'auscultation, Maman lui a fait promettre qu'il ne la laisserait pas souffrir et lui a demandé de lui "faire une piqûre" pour abréger les choses, lorsque ce serait le moment. Il a promis qu'elle ne souffrirait pas ; j'ai également promis que j'actionnerai suffisamment en amont un suivi par l'Equipe Mobile de Soins Palliatifs pour qu'elle ne souffre pas, comme Papa avait souffert. Elle a alors reconnu qu'elle avait été "tête dure", ce sont ses termes, en refusant toutes les aides que j'avais pu proposer pour que Papa ait une fin de vie aussi digne et confortable qu'il aurait méritée, ce qui a été loin d'être le cas.

Puis, lorsque j'ai été seule avec le médecin, celui-ci m'a appris que Maman l'avait appelé pour une visite au sortir de l'hospi, et qu'il lui avait clairement nommé sa maladie, en me précisant qu'une cousine était présente lors de son passage. Plus tard, celle-ci m'a confirmé qu'effectivement, le 31 octobre, le médecin avait bien annoncé que la biopsie avait révélé un cancer du pancréas avec une extension hématique, ce qui l'avait particulièrement interpellée puisque Maman, avant, et après, elle, n'a jamais évoqué le pancréas mais toujours et uniquement le foie. Bref !

Et alors que je disais au médecin que je trouvais qu'elle "baissait vite", que ces œdèmes ne me disaient rien qui vaillent, il m'a répondu que oui, l'ictère de ses yeux était également un facteur qui démontrait que la maladie progressait...

Je lui ai demandé un bon de transport pour le rendez-vous Onco du lendemain, ne m'imaginant pas, et pour la première fois, la charger et la transporter dans ma voiture. Il l'a rédigé sans la moindre difficulté et j'en ai été soulagée.
Il a également rédigé une ordonnance de diurétiques pour tenter d'endiguer les œdèmes, mais même sans ne connaître grand chose à la pharmacopée, et au regard de ce que j'avais vu à la maison de retraite, je me demandais si, vraiment, ce traitement aurait l'effet escompté.

Mais le rendez-vous étant posé le lendemain avec l'onco, je me disais qu'elle l'adapterait si nécessaire.

Cette histoire de décompensation cardiaque m'a longtemps interrogée, au regard de toute cette histoire.

Pendant ce temps, la salle de bain commençait, doucement, à prendre forme. Nous attendions le plombier ; la faïence était en voie de finition. La peinture de la chambre restait encours et le choix du sol était fait.

J'avais le 4 décembre rendez-vous avec le Service d'Aide et d'Accompagnement à Domicile parce que je ne pouvais plus tout assumer et que la femme de ménage habituelle de Maman, même si j'avais augmenté ses heures, ne suffisait plus ! C'était ça, ou je m'asphyxiais.

En parallèle, j'avais eu un long entretien téléphonique avec la psy le 24 novembre, puis un autre le 1er décembre. Ceux qui me connaissent dans la vraie vie savent combien mes émotions sont à fleur de peau et combien j'ai la larme facile. En raccrochant, les deux fois, je constatais n'avoir pas versé une larme.
Cela fait partie des choses qui, deux ans après, continuent à m'interpeler...

4 octobre 2022

Automne - 14 : le jour d'après

J'étais groggy, KO debout... j'avais passé une nuit blanche. [je ne sais, d'ailleurs, comment je vais dormir cette nuit car à l'heure où j'écris ces lignes, j'ai la nausée au bord des lèvres et revivre ces heures est excessivement douloureux. Je pensais que tout cela était réglé, mais il n'en est rien à la façon dont je vis cette narration.]

Bon, reprenons...

J'avais donc passé une nuit blanche, j'avais une visio à 9 heures et inutile de préciser que j'étais totalement parasitée par ma vie personnelle et à mille lieues d'être en capacité de me concentrer. Ça s'est senti, forcément, mais tout le monde a mis ça sur le coup du rendez-vous avec l'oncologue et du refus de traitement de Maman.

Maman s'est levée, elle, comme si de rien n'était ou presque. Lorsque je lui ai demandé comment elle allait, elle m'a répondu qu'elle avait un peu mal au ventre. Je suis restée abasourdie qu'elle ne fasse pas de lien entre ma question et la discussion de la veille tant, moi, j’étais mal à cause de ça, mais j'ai eu l'impression, à ce moment, qu'elle était repartie dans son déni.

Car oui, et c'est là où Bleck, lorsque tu m'as parlé du déni en commentaire de l'un des tous premiers posts de ce blog version reprise, je t'ai dit que le déni était un truc de dingue, absolument de dingue. 

Je suis convaincue que ma mère s'est protégée par ce déni car sinon, il ne lui aurait pas été possible de tenir debout, pendant 57 ans, envers et contre tout, en ayant cet abandon présent. Qu'elle ait tenu tant que mon père vivait, pour ne pas risquer de laisser filer un indice, à la limite... mais à son décès, pourquoi n'a-t-elle pas lâché tout ça ? 
Et pourquoi m'a-t-elle répondu avec autant de véhémence lorsque j'ai entamé la discussion ? Si je n'avais pas eu la certitude que tout cela était vrai, jamais je n'aurais pu déceler, au ton qu'elle a employé pour me répondre, qu'il pouvait y avoir le moindre doute, la moindre bribe de réalité.

Je n'oublierais jamais, alors que j'avais l'impression d'étouffer en raccrochant de ma visio, ce vendredi 20 novembre, ce jour d'après, mon coup de fil à E (il faut rappeler que nous étions en plein deuxième confinement), ma copine devenue cousine et pour laquelle, je crois, je peux utiliser le mot Amie :

- tu fais quoi ce matin ?

- Euh, rien, pourquoi, t'as une drôle de voix...

- RV à 10H45 sur le parking de U. Je me garerai à l'opposé des caddies.

- OK, mais que se passe-t-il ?

- Je te raconterai.

Nous nous sommes garées en même temps ; je suis montée dans sa voiture, et je me suis effondrée. Effondrée en larmes, de colère, d’incompréhension, d’impuissance, de dégoût...
Je peinais à lui raconter tant je pleurais, la morve au nez, les hoquets coupant les phrases… et elle me regardant, incrédule, muette, accueillant mes larmes, ma tristesse, ma colère, ces milles émotions qui s’entrechoquaient, en silence.

Elle qui connaît toute ma vie, mes parents depuis 35 ans, qui a épousé mon cousin et qui, forcément, connaît toute ma famille, toute son histoire...

Elle est restée sans voix, incrédule, elle aussi, sous le choc ! Puis peu à peu, je me suis apaisée ; suffisamment en tous cas pour pouvoir sortir de la voiture, aller faire trois courses (alibi de ce rendez-vous) et rentrer à la maison, les yeux larmoyants et le nez rougis.

Ma mère ne m’a posé aucune question ; je n’ai pas demandé mon reste, je me suis remise au travail.

Peu à peu j'ai repris pied dans la réalité de la situation initiale... ou plutôt je me suis laissée engloutir, moi aussi, par le travail, par les mille trucs que je devais gérer entre l'accompagnement de la maladie et l'anticipation de ses conséquences, le boulot à distance en pleine période budgétaire, la gestion quotidienne de la maison, et la supervision du mémoire Caferuis... sans parler de la location de cette fichue maison, bref, le quotidien quoi.

Je n’avais, quoi qu’il en soit, pas le choix. L’urgence était la maladie et l’accompagnement de fin de vie à organiser. Papa avait fini sa vie à la maison ; il en serait de même pour Maman, autant que je le pourrais. Mon angoisse, sourde, était le moment où G devrait repartir à mille kilomètres pour finir ses études, juste après les fêtes de Noël parce que lui, comme ma mère, sauraient alors qu’ils se diraient adieu, et pas au revoir. Mais ma « bonne nature » a repris le dessus : on avisera lorsqu’il sera temps ! Peut-être que, finalement, elle tiendra jusqu’à Pâques…

Bref, bientôt deux ans après, je continue à me demander comment j'ai fait pour rester debout, pour assumer tout ce que j'avais à assumer... Je ne remercierais jamais assez mes très proches, dont l’Homme qui, assurément, m'ont portée, nous ont portés, moi et mon lourd fardeau pendant ces semaines, ces mois... fardeau que je n'ai alors pas dévoilé à beaucoup de monde...

Seuls ceux dont j'étais certaine qu'ils ne seraient pas dans le jugement ont été mis au courant : Monsieur Parfait, évidemment dirais-je, et quelques copines très, très proches.
P, mon frère de coeur, qui vivait à la maison au moment de la grossesse portant mon frère, et était très très présent chez mes grands-parents, au moment de la grossesse de ma sœur, même s’il n’avait que 8 ans, est, lui aussi, resté KO debout. Quelques mois après, il m’a confié qu’il était secoué et que ces deux révélations lui avaient coûté un paquet d'heures de sommeil à lui aussi.

Bref… Reprenons…

Dans l’après-midi, au milieu d’une énième visio, j’ai eu la conviction que je ne m’en sortirai pas seule de toute cette histoire. J’ai pensé, souvent, que si j’avais lu un truc aussi tordu dans un roman, j’aurais pensé que l’auteur était quand même bien tordu pour imaginer un truc aussi improbable, et moi, je le vivais en direct’live, et que ça me touchait personnellement. Je ne saurai décrire ce sentiment mais parfois, une chose est sûre, c’était étrange. J’avais l’impression de me « déporter » de ma vie pour la regarder de l’extérieur, de m’en extraire… c’était troublant.
J'avais croisé, dans le cadre pro, une psy à l'approche intéressante, pleine d’humour et de bienveillance mais d’une lucidité implacable. Au milieu de cette visio, je lui ai adressé ce mail « Bonjour, Nous nous sommes « croisées » dans le cadre de la régulation au CT et je vis des trucs perso actuellement un peu hard. Je souhaiterais être accompagnée mais mes disponibilités sont très limitées : je suis en télétravail à 500 km de P où j’accompagne ma mère dans sa fin de vie, en lien avec un neo du pancréas… je vis donc chez elle et ne suis dispo que lorsqu’elle est couchée. Accepteriez-vous de le faire, ou sinon, connaîtriez-vous quelqu’un sur L qui pourrait le faire, sachant que les séances en visio ne sont pas un souci pour moi… »  

Nous étions le vendredi ; elle m’a filé un rendez-vous whatsapp le mardi 24 à 21 heures.

 

 

 

3 octobre 2022

Le rêve de cette nuit, en lien assurément avec l'automne....

J'ai passé un excellent week-end. Ce n'est pas toujours le cas, mais vraiment, ce week-end, c'était chouette. J'ai l'impression que l'Homme dont je partage la vie a eu un déclic suite à ma dernière mise au point, j'ai aimé notre petit déj au lit samedi matin, mon temps à moi de samedi aprèm, cuisiner ensemble hier matin pour recevoir sa cousine, et notre long moment jacuzzi hier en fin d'après midi. Bref, c'était un chouette week end, la seule ombre au tableau était la nuit de vendredi à samedi où j'avais peu, et mal dormi, mais la sieste de l'aprèm l'avait effacée.

C'est donc sereine que j'ai éteint la lumière hier soir...

Une heure du mat', je ne dormais toujours pas, le cerveau en surchauffe sur mon nombril.

Deux heures du mat', réveillée en sursaut, j'arrivais à proximité de chez mes parents, à pied, et il y avait du monde partout. Toutes les maisons sur la route étaient occupées, c'était joyeux, c'était festif, et j'étais heureuse...
Dans le pré derrière la maison, il y avait plein d'enfants, dont ceux de mon cousin, mais alors qu'ils sont adultes aujourd'hui, ils étaient redevenus enfants, et jouaient tous ensemble.

Trois heures et demies du mat', réveillée à nouveau en sursaut : tous ces enfants s'amusaient à plonger. Je rappelle, juste, qu'il n'y a évidemment ni mer ni océan en Limousin, mais qu'à proximité immédiate de chez mes parents, il n'y a pas, non plus, de lac ou d'étang. Mais tout le monde plongeait... et ils continuaient à être heureux, il y avait beaucoup de joie, beaucoup de bruit...

Quatre heures du mat', à nouveau je regarde l'heure... Je plongeais moi aussi, et avec l'aide d'une jeune femme, inconnue mais au corps de sirène, nous étions chargées de remonter des cercueils qui gisaient au fond de l'eau.

Je ne me suis plus réveillée... sauf lorsque le réveil a sonné, et je crois que j'ai préféré...

Edifiant, mon cerveau, non ?...

2 octobre 2022

Automne - 13 : "J'aurais mieux fait d'aller me noyer"

- Dis, Maman, quand tu étais partie à Pe***, c'était à quel moment ?

- Mais tu es encore avec ça ? C'est en boucle chez toi non ?

- Oui, mais parce que je veux savoir pourquoi tu es partie... 

- Mais parce que tu crois que je me souviens ? 

- Maman, quant à 20 ans, et il y a plus de cinquante ans, on décide de traverser la France pour aller dans une région qu'on ne connaît pas, il doit bien y avoir une raison importante et j'ai du mal à comprendre que tu ne t'en souviennes pas...

- Tu sais, la vie au village n'était pas drôle, et puis le pépé et la mémé n'étaient pas très bienveillants. Je travaillais, je faisais la bonne et il fallait quémander le moindre franc, alors vraiment, c'était pas drôle...

- Mais moi je pense que tu n'es pas partie pour ça !

- ...

- Moi je pense que tu es partie pour accoucher !

- AH MAIS JAMAIS DE LA VIE !!!! MAIS QU'EST-CE QUE TU RACONTES ??????

- Je sais, Maman, que tu es partie parce que tu étais enceinte... On me l'a dit...

- MAIS QUI T'A RACONTE CA ??????

- Annick...

- ET BIEN ELLE T'A RACONTE DES CONNERIES !!!!!!!!

- Maman, je sais que tu es partie à T**, et que tu as mis au monde une petite fille, et que ce n'est qu'ensuite, que tu es partie à P**...

- ...

- ...

- Ce jour-là, j'aurais mieux fait d'aller me noyer !

- Ah ben non, sûrement pas, d'abord parce que je ne serais pas là... Mais je voudrais surtout, que tu m'expliques, pourquoi, comment...

- Il n'y a rien à expliquer ; quand tu tombes sur un salopard, et bien t'es bien obligée de te débrouiller...

- Mais pourquoi tu ne l'as pas gardée ?????

- Parce que je n'ai pas eu le choix ! C'était l'abandon ou la porte, tes grands parents ne m'ont pas laissé le choix... Je n'avais pas un sou en poche, et nulle part ou aller...

- Alors dis-moi comment ça s'est passé, s'il te plaît... Et surtout, est ce que Papa était au courant ?

- Non, il ne le savait pas, je ne lui en ai jamais parlé, j'avais bien trop honte... Et d'ailleurs, de t'en parler, j'en ai tellement, mais tellement honte... Tes grands parents ont tout organisé, avec mon frère, un accueil dans une maison maternelle à T*** où je suis restée plusieurs moi. On était plusieurs filles à venir ici, toutes enceintes, pour accoucher, et abandonner nos enfants. C'est ce que j'ai fait. 

- C'était quand ? Tu te souviens quand elle est née ?

- Bien sûr ! Il y a des dates que l'on n'oublie pas ! C'était le 4 ou le 5 octobre 1963...

- Et tu sais ce qu'elle est devenue ?

- Non, bien sûr ; j'espère qu'elle a été adoptée par une femme de ménage de la maison, qui ne pouvait pas avoir d'enfant et qui m'avait dit, qu'un jour, elle adopterait un enfant. Elle était gentille ; ce serait bien si elle l'avait adoptée... J'ai toujours espéré...

- Et tu lui as donné un prénom ?

- Oui, Isabelle. 

- Isabelle ? Mais c'est incroyable ! C'est un prénom qui revient dans toute la généalogie, côté Papa (NDLR : Sans déconner, à l'école, j'ai toujours voulu m'appeler Isabelle ou Nathalie, je trouvais mon prénom horrible... et voilà que ma mère a appelé sa première fille Isabelle !!!!!)

- Et donc, ensuite, tu es partie travailler à P** ?

- Non, je n'ai jamais travaillé à P**, mon travail aux Dames de France ça n'a jamais existé, ça aurait pu, mais non. Je suis partie parce que Tatie a dit à ta grand’mère qu'il fallait absolument que je vienne pour pouvoir dire comment était la région, si des gens me questionnaient à mon retour. En fait, P*** n'a été qu'une couverture : les lettres arrivaient chez Tatie, qui me les renvoyait, et moi, quand j'écrivais, c'était sous double enveloppe et Tatie les postait de P***

- Mais Maman, tu te rends compte que Tatie ne m'en a jamais parlé...

- C'est normal, personne n'en a jamais parlé.

- Mais qui était au courant ?

- Tes grands parents, ton oncle et ta tante, et Tatie A... 

- Tata L. n'était pas au courant ? 

- Non, tu sais, ta grand’mère était bien trop fière pour dire quelque chose comme ça.

- Mais alors, lorsque je suis née, ça a dû être horrible pour toi ?

- Mais non, pourquoi ? Au contraire, j'étais contente car toi, je savais que j'allais pouvoir te garder...

- Mais à sa date anniversaire, ça a dû être un calvaire, chaque année...

- Petit à petit, les choses s'adoucissent...

- Mais je comprends alors pourquoi tu détestais Noël...

- ...

- Mais rassure moi, Maman, tu n'as pas été violée, tu n'as pas subi... (parmi les mille scenarii imaginés, j'ai pensé qu'elle avait peut-être été victime d'inceste... dans les années 50, au fin fond de la campagne limousine, ça n'aurait sans doute pas été la première, ni la dernière, et cette idée me terrorisait...)

- Non, non, ne t'inquiète pas ! Je suis juste tombée sur un salopard je te dis ; lorsque je lui ai dit que j'étais enceinte, il m'a envoyée valser, disant qu'il ne voulait pas entendre parler...

- ...

- ...

[nous pleurions l'une et l'autre. Elle sans doute sur cette enfant abandonnée, moi je ne sais sur quoi, et pourtant mes larmes étaient inextinguibles...]

- Je ne veux pas que tu en parles à Grégoire

- Maman, j'en parlerai à Grégoire, parce que les secrets de famille sont des poisons, qui se distillent lentement sur des générations, donc ne me demande pas ça, je lui en parlerai.

- Alors tu lui en parleras lorsque je serai morte, parce que j'aurais trop honte.

- Maman, tu n'as pas à avoir honte : tu es une victime. Une double victime ! De ce minable, d'abord, qui n'a pas été capable d'assumer... Il avait quel âge ?

- Il était beaucoup plus vieux que moi, il avait dix ans de plus...

- Ben raison de plus ! Tu es vraiment une victime, et aussi, victime de la folie de tes parents à avoir manigancé tout ça juste pour sauver ton honneur, et le leur !

- ...

- Je t'aime, Maman....

- Moi aussi, je t'aime... 

- ...

- Tu as d'autres questions ? Tu veux savoir d'autres choses ?

- Oui, j'aurais dû avoir un petit frère, c'est bien ça ? Tu étais enceinte en même temps que Tata lorsqu'elle a eu François ?

- Oui, j'étais enceinte lorsque j'ai été renversée par le bélier. Et deux/trois jours après, je n'ai plus senti le bébé bouger... et je l'ai perdu.

- Mais ma marraine m'a dit qu'elle l'avait vu, ce bébé, elle ?

- Oui, parce que je l'ai expulsé ici, et comme j'ai fait hémorragie derrière, le médecin a appelé une ambulance pour m'envoyer à l'hôpital.

- Mais si le bébé était là, qu'est-ce qu'il est devenu ?

- Ce n'était pas un bébé, c'était un foetus, et c'est ta grand’mère qui s'en est chargée ; elle l'a enterré dans le jardin je pense car quand ton papa est revenu de l'hôpital, tout avait disparu... et je n'en ai jamais reparlé.

Là, je n'ai pas pu poursuivre, j'ai cru que j'allais vomir. Cette grand'mère, que je n'avais jamais aimée, ce grand-père que je trouvais bizarre et antipathique, et qui l'un et l'autre étaient aux antipodes de mes grands-parents chéris prenaient, là, une tournure qu'il ne m'était pas possible de concevoir.

C'est sur ces paroles que je suis allée hurler en silence sous la douche, et que j'ai passé l'une des pires nuits de ma vie, à tourner et retourner.

Moi, la fille unique qui pleure sa solitude depuis 54 ans, j'ai donc une frangine dans la nature et un frangin dans le jardin.

Pardon, je vais vomir... 

Comment ma mère a-t-elle pu vivre pendant 47 et 57 ans avec ça sur le cœur ? Comment ? 

 

NB - Pardon aux premiers lecteurs ; ce post, qui a jailli, était truffé de fautes. C'est dire si l'écrire fut une épreuve !

 

1 octobre 2022

Automne - 12 : Et puis, il faut bien, un jour, se lancer, couper les fils, avancer sans les petites roues...

Le mardi 17 novembre, c'est après ma journée de travail que j'ai repris la route, la voiture chargée à bloc puisque je partais sans savoir quand je reviendrai chez moi, dans mon esprit, au milieu du printemps... 

Je m'étais fixé le jeudi 19, au retour de chez l'onco, comme moment pour attaquer LA discussion de ma vie, quoi qu'il m'en coûte, quoi qu'il nous en coûte. J'ai échafaudé mille scenarii pour aborder cette conversation, et les 500 kilomètres qu'ont duré le trajet, je les ai répétés intérieurement, et perfectionnés.

Restait la question de chimio or not chimio, nous en avions parlé à distance, et maman alternait toujours entre oui, et... non, ou peut-être. Pour ma part, je croisais les doigts pour que sa réponse soit non puisque je savais que ça n'améliorerait rien, et même pire que ça, que ça allait précipiter la chute.

Je suis donc arrivée le mardi vers 22 heures, épuisée de nuits sans sommeil, de questionnements sans fin, entrant de plein pied dans l'hiver alors que j'avais regoûté, pendant cinq jours à la douceur de l'automne sudiste, retrouvant ma mère à la mine peu joyeuse, et on le serait à moins. Je n'avais sans doute pas la mine plus joyeuse, j'étais là parce que c'était mon devoir, pas mon envie.

Le mercredi nous avons abordé à nouveau cette question de chimio et elle m'a demandé si je lui en voudrais si elle ne se lançait pas dans ce protocole, arguant que la chimio avait précipité la chute de Papa. Je l'ai à nouveau, avec toute l'empathie que je pouvais alors dégager, assurée que quel que soit le choix qu'elle ferait, je l'accompagnerai, aussi bien que je le pourrai, et mobiliserai toutes mes connaissances pour que les conséquences de cette maladie lui soient, sinon les plus douces, en tous cas, les moins difficiles possibles.

Le jeudi, je l'ai donc conduite une nouvelle fois en voiture, la déposant au plus près de l'entrée car son périmètre de marche s'était encore réduit, et elle a annoncé au Dr SW que, non, elle renonçait à la chimio, au motif qu'elle avait précipité l'épuisement et sans doute la fin de vie de mon père. L'onco m'a regardée, l'a regardée, et l'a assurée qu'en dépit de cette décision, elle ne la laisserait pas tomber et, qu'au contraire, elle ferait elle aussi tout ce qu'elle pourrait pour que les conséquences de la maladie ne lui soient pas douloureuses. 
Encore une fois, aucun mot n'a été prononcé, ma mère tournant habilement autour du pot sans jamais ne dire cancer, et s'en tenant strictement à évoquer le foie.

Et alors que nous avions parcouru quelques kilomètres en direction de la maison, voici qu'elle s'est mise à regretter sa décision : "j'aurais peut-être dû faire de la chimio, qu'en penses-tu ?"
Avec toute la douceur possible, j'ai tenté de lui dire que la décision était maintenant prise, qu'au pire elle pourrait toujours en reparler avec l'onco lors du rendez-vous suivant, le 4 décembre... et pendant ce temps, dans ma tête, bouillait la discussion que je m'étais promis d'aborder à l'issue de ce rendez-vous.

En arrivant à la maison, Maman était épuisée et s'est allongée pendant que je calais avec le plombier les derniers délais pour la réfection de la salle de bain, puis je me suis dépêchée de préparer le repas, nous sommes passées à table... et juste avant que le programme télé du soir ne se lance, c'est moi qui me suis lancée... 

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