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Sous les apparences,
2 novembre 2022

Hiver - Epilogue part one

La première nuit fut épique : Maman avait sans doute très envie de savoir si sa nouvelle montre, reliée à la téléassistance, fonctionnait... et preuve est qu'elle fonctionnait au regard du nombre de fois où j'ai dû me lever. La première fois, elle a sonné pour s'assurer que tout était effectivement en ordre ; une deuxième parce qu'elle avait soif, une troisième car elle était inconfortable et n'avait plus assez de forces pour se tourner dans le lit, une quatrième parce qu'elle était angoissée et ne dormait pas, une cinquième car elle était à nouveau inconfortable, une sixième parce qu'elle avait besoin d'aller aux toilettes...

Ce fut un cauchemar ! J'ai mis cela sur le fait que c'était la première nuit, que les choses allaient se tasser.

La deuxième nuit fut du même tonneau... à la différence que si elle, s'était reposée, avait beaucoup dormi pendant la journée, moi accaparée par l'intendance, les visites, trois passages infirmiers, les deux passages SSIAD, je n'avais même pas eu le temps de faire une sieste.

Le dimanche matin, sur les rotules de deux nuits sans sommeil, j'ai ouvert la porte à l'infirmier telle un zombie et suis repartie me coucher, J et G prenant le relais de l'organisation du petit déjeuner. Maman n'étant plus en capacité de marcher, j'ai mesuré la chance d'avoir deux kinés auprès de moi pour assurer les transferts, comme j'ai mesuré la chance que j'avais d'avoir organisé la vie au rez-de-chaussée, même si elle n'a jamais pu utiliser la salle de bain flambant neuve, les toilettes devant se faire au lit.

Après avoir longuement discuté en aparté avec le cabinet infirmier, le SSIAD, l'Equipe de l'HAD sur cette exigence et ce qu’elle engendrait pour moi, le lundi soir, j'ai posé fermement le contexte : l'accompagnement à domicile reposant exclusivement sur ma capacité à l’assumer, si elle tirait trop sur la corde, je ne serais plus en mesure d'assumer et il faudrait réenvisager une hospitalisation. Et je le lui ai dit !
J'étais prête à aller très loin dans l'accompagnement de ma mère, mais mon métier m'avait appris que chacun d'entre nous a ses propres limites et que pour l'équilibre de tout le monde, il est indispensable de bien les connaître, de bien les respecter pour ne surtout pas les dépasser. Je suis une gestionnaire, pas une soignante ! Les soins d'hygiène et de confort, c'est vraiment pas mon truc et ceux en direction de ma mère encore moins. Depuis toujours, je suis sincèrement admirative du travail réalisé par les aides-soignants, j'en serais incapable !

Il a donc fallu une dernière grosse engueulade avec ma mère (comme si nous avions besoin de ça, en plus de tout le reste), pour lui faire comprendre que non, j'étais désolée, mais que je n'étais pas en capacité de gérer ses selles. Elle l'a très mal pris, et moi, j'ai très mal pris qu'elle le prenne mal et ne le comprenne pas. Inutile de vous préciser ma culpabilité au moment où elle m'a dit qu'à cause de moi et de mon incapacité à la nettoyer, elle aurait des rougeurs, voire des escarres…?
Les infirmiers ont été géniaux, ils l’ont recadrée sans détour… en lui disant que, d'une part, elle avait beaucoup de chance que je fasse tout ça pour elle, et que j'avais bien raison de me fixer des limites pour préserver notre relation mère/fille, et que d'autre part, même à l'hôpital, des rougeurs elle en aurait puisque personne n'interviendrait dans la seconde où elle sonnerait ! Je ne suis pas sûre que ma mère l’ait compris, mais elle ne m’a plus jamais culpabilisée avec ça.

Après ce gros clash, bizarrement, même les nuits ont été plus calmes. Je me levais une à deux fois par nuit pour l’aider à changer de position, et j'étais tellement KO, que mes 18 marches remontées, je m'engouffrais à nouveau dans le lit pour me rendormir aussitôt.

Le mardi soir, nous l'avons emmenée en fauteuil dans la salle à manger pendant une petite heure puisque nous fêtions Noël avec mon oncle, ma tante, mon cousin et ses enfants. Même si le cœur n'y était guère, ce moment de partage fut important pour tous, tant nous avions fêté de Noël tous ensemble. Mais chacun savait que ce serait le dernier, et je me suis effondrée dans les bras de mon cousin, après avoir recouché Maman.

Le jeudi soir, nous avons "réveillonné" à 20 heures, tous les trois autour de son lit, pour marquer Noël. Elle a mangé sans entrain une micro part de saumon fumé et un petit bout de bûche glacée... et tout le monde était au lit, épuisé, à 21h30.

Le vendredi soir, les enfants de J nous ont rejoints pour "fêter" Noël. Elle est venue à table avec nous une petite heure ; c'est la dernière fois où nous avons eu la force de la sortir du lit, tant l’exercice devenait périlleux ; elle n’avait plus aucun appui.
Les dernières fois se succédaient aux dernières fois, ses forces s'amenuisant.

J est reparti le dimanche soir, après une très grosse engueulade due à son absence de réaction au comportement inadmissible de son fils (29 ans) en pareil moment. Comme si nous avions besoin de ça, comme si l’horreur du moment vécu n’y suffisait pas déjà… Je n’étais pas sûre de le revoir, pas plus que je n’étais sûre d’en avoir envie.
Ce n’était ni la première, ni la dernière engueulade, mais je garde de celle-ci un souvenir très douloureux et une rancune imprescriptible vis-à-vis de son fils, moi qui pourtant n’ai pas un tempérament rancunier.

Le mardi soir, alors que Maman n'avait plus la force de tenir seule son verre, G et moi avons vécu un grand moment : alors que je soutenais son verre comme je le pouvais pour éviter qu'il ne se renverse, elle m'a dit, fermement, une première fois de lâcher son verre, puis une deuxième fois, puis une troisième… Puis, alors que sa voix était pourtant habituellement faiblarde, elle a prononcé d’une voix de stentor : "est-ce que tu vas lâcher ce verre ? ça fait trois fois que je te le dis !"
G et moi nous sommes regardés, et n'avons su si en rire ou en pleurer... G, répondant très calmement à sa grand-mère que si je ne le tenais pas, celui-ci allait se renverser…

Puis, alors que nous venions de la préparer pour la nuit, celle-ci se retourna vers G et lui dit, tendrement : "heureusement que je t'ai, mon petit G chéri"... ce à quoi mon fils, incrédule, a rétorqué "et Maman, Mamie, tu ne crois pas que tu as de la chance de l'avoir elle surtout ?", ce à quoi ma mère a péniblement répondu "ah oui, aussi..."

Et enfin, dans la série des grands moments qui marquent, à jamais, vos souvenirs : le vendredi soir, alors que sa voix n'était plus qu'un souffle et que nous peinions à comprendre ce qu'elle disait et que je lui faisais répéter, elle a mobilisé toute sa force pour me dire, très distinctement et assez clairement "mais ma pauvre RdT, tu es sourde comme un pot, il va peut-être falloir penser à te faire appareiller".
Cette phrase, la toute dernière prononcée par ma mère, fut source d'une longue crise de fou rire entre mon fils et moi, et encore aujourd'hui, nous y faisons souvent référence...

Bref, vous l’aurez compris, la situation était très dégradée et alors que depuis le début de cette maladie, mon angoisse était le moment où G reprendrait la route et dirait, une dernière fois, au revoir à sa grand-mère, j’étais de plus en plus convaincue que je n’aurai pas à vivre ce moment. Il avait repoussé son départ au jeudi, se demandant si, seule, je serai en mesure de faire face aux multiples sollicitations que nous n’étions pas trop de deux pour satisfaire.

Le week-end fut chargé de visites… et en ces temps de premier de l’an, l’atmosphère était assez surréaliste... Ma mère allait mourir prochainement, était-on en droit de me présenter des vœux ?

Au fur et à mesure que les heures passaient, je sentais Maman de plus en plus inconfortable. La tension baissait, les respirations lui étaient pénibles. Je me suis opposée le samedi soir au dexto, à quoi bon, elle ne s’alimentait plus, et ne s’hydratait plus qu’au travers des soins de bouche prodigués. A ce propos, j’ai quand même halluciné d’apprendre aux aides-soignantes l’intérêt du coca ou du jus d’ananas à ces fins… et j’espère, surtout, qu’elles ont inscrit ça dans leurs pratiques.

Le dimanche matin, une discussion assez houleuse a eu lieu avec l’infirmier remplaçant (celui du dextro la veille), car il me semblait que c’était le moment de faire intervenir les Soins Pa’, Maman étant de plus en plus inconfortable.
- mais ils vont faire quoi de plus que nous ?

- Vous ne pensez pas que c’est peut-être le moment de pousser un peu d’hypn*vel…

- On ne pourra pas la piquer, ça sert à rien, regardez ses veines…

- Ils le passeront en sous-cut’

- Pfft, ça ne marche pas en sous-cut ! Comment voulez-vous que ça marche ?

- Si je vous le demande, c’est parce que je sais que ça marche

- Ben je ne vois pas comment, moi, j’y crois pas à l’hypn*vel

- Je ne vous demande pas d’y croire, je vous demande juste d’appeler les soins pa’ puisque nous sommes le week-end du 1er de l’an, qu’elle nous a fait promettre, à son médecin traitant et à moi que nous ne la laisserions pas souffrir, mais il est en vacances

- Vous êtes soignante ?

- Non, je ne suis pas soignante, mais je vous demande juste de le faire, pour elle ! Vous la voyez grimacer non ?

- …

- Qui tourne avec vous ce matin ?

- Je suis tout seul

- Qui passera à midi ?

- Moi, ce sera encore moi

- Et ce soir ?

- Ce sera N...

J’ai donc attendu le soir avec beaucoup d’impatience et avec du recul, je regrette de ne pas avoir appelé, moi-même, l’HAD le samedi pour qu’ils interviennent.

Mais cela me prouve, une fois encore, combien les accompagnements de fin de vie sont aléatoires tant les soignants, quels qu’ils soient, ne sont pas formés !!! et ça, voyez-vous, ça me met dans une colère noire !! On est en 2021 !!!!!

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