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Sous les apparences,
22 mars 2013

366/71 - Aujourd'hui le bien, le mal...

Il est des heures difficiles à aborder dans mon métier et l'une d'elles est lorsque nous sentons qu'un résident lâche prise et commence à glisser. Il me paraît, dans ces moments, impérieux de réunir la famille (toute) et d'aborder, doucement, à petites touches et ensemble, le choix du résident ou/et des siens concernant ce moment.

L'une de nos résidentes, jeune (66 ans), malade depuis une bonne dizaine d'années, est manifestement arrivée dans cette phase ; voilà deux semaines qu'elle refuse de s'alimenter, serrant les dents dès que l'on approche tout ce qui ressemble à un couvert, ou même à une paille. Or, le seul et unique lien qu'il restait encore à son mari pour communiquer était justement de venir la faire manger gaver dès seize heures, chaque jour et depuis deux ans.

Cet après midi, nous avons reçu son mari, justement, et ses deux filles dont l'une est aide soignante dans un service qui accueille des patients proches de ceux que nous accueillons également. Le médecin a expliqué à la famille où en était arrivée leur épouse/mère et a tenté de connaître le choix de "vie" qu'ils souhaitaient lui réserver : en résumé, soit on respecte son "choix" de ne plus manger et on l'accompagne aussi bien qu'on peut sait le faire, le plus possible en humanité et en confort, soit en met en place une nourriture artificielle et on la maintient ainsi x années dans cet état végétatif jusqu'à ce que le cerveau éteigne peu à peu les fonctions vitales...
Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise décision ; la décision est familiale et personnelle et ne regarde personne d'autre que le strict entourage familial.

Silence assourdissant dans la salle.

La famille n'étant pas native de langue française, j'ai reformulé l'ensemble de la phrase du médecin, pour le cas où ils n'auraient pas parfaitement compris.

Re-silence assourdissant dans la salle... et immense moment de solitude entre le médecin et moi, la psychologue étant, elle, effarée d'un tel moment (nous a t elle confié après) qui l'a laissée totalement incapable de dire un mot.

Après un long moment, l'Epoux reprend la parole pour nous expliquer que lui, quand il avait dû être opéré du canal carpien, c'est le médecin qui avait pris la décision et même qu'il avait bagarré avec le médecin du travail qui voulait le remettre au boulot alors que son médecin ne voulait pas.

Les yeux bleus du médecin co m'ont fixée et j'y ai lu une frayeur encore jamais croisée ; je ne sais ce qu'il lisait dans les miens à ce moment, mais ils devaient être au moins autant paniqués que les siens. Quant à la psy, c'est clair, elle était en apnée...

Le médecin a donc repris la parole pour expliquer, tout en douceur, que bien que ne minorant en rien l'importance du canal carpien de monsieur, là, nous abordions la maladie, une maladie d'Azheimer -vous savez Monsieur, c'est très très grave- et par là même, la fin de vie, l'approche de la mort de votre épouse.
En temps normal, on ne prononce pas, jamais, le mot mort en premier, jamais dans une entrevue familiale comme celle-ci, et j'ai d'ailleurs bien vu la détresse, le merde intérieur qu'il a dû se dire mais c'était trop tard.

Finalement, je ne sais pas si c'était bien ou si c'était mal qu'il le dise parce que ça n'a rien changé. Strictement rien changé. Monsieur a embrayé aussitôt sur le fait qu'il avait lui aussi failli mourir, que même il se demande s'il n'aurait pas préféré mourir tant il avait eu mal lorsque ses problèmes de coeur se sont déclenchés...

Bon, j'avoue que là, j'ai conclu sans traîner en proposant qu'ils réfléchissent, en famille, et que nous reprenions date pour une nouvelle entrevue d'ici une semaine ou deux...

Finalement, tout ça ne fait que me convaincre un peu plus encore, et si besoin était, qu'on ne devient pas totalement dément par hasard... Est-ce un bien, un mal ? Une issue de secours, assurément...

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Commentaires
D
moi je crois qu'il arrive un moment ou tout devient tellement difficile que les "survivants" se refugient derrière des choses insignifiantes pour ne SURTOUT etre confronté a la réalité .....
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T
une issue de secours ... c'est vrai , je n'avais jamais vu ça sous cet angle mais oui ...
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