Explosage de chevilles

L'une des visiteuses de l'accueil de jour se prénomme Adrienne. Elle est grande, très grande pour une femme de cette génération, se tient très droite (ce qui est rare), a les cheveux d'une blancheur exquise et m'émeut, j'sais pas pourquoi mais c'est comme ça. Lorsqu'on échange avec Elle, de prime abord, on pourrait penser qu'elle est très cohérente. Quand tu poursuis cet échange au delà des cinq premières minutes, tu te rends compte qu'elle est Alzi à donf -copyright JPC- et te raconte n'importe quoi. Elle y a retrouvé sa soeur de plus de quatre vingts ans aussi, et si on échange avec elles, malgré leurs désorientations respectives et pas piquées des hannetons, la malice brille dans leurs yeux lorsqu'elles évoquent leurs bêtises d'enfant. Leur connivence t'explose au visage et c'est fabuleux !

Hier soir, Madame B (Adrienne donc) restait seule dans la salle d'anim, son chauffeur étant quelque peu en retard. Je suis donc allée lui tenir compagnie (quel bonheur d'être stagiaire... même si je me suis promise que jamais je ne perdrai ce lien si important avec le Résident) et nous avons papoté. Ce sont des moments d'une valeur humaine incomparables !

Sa fille est donc arrivée et nous avons continué notre échange ; sa fille y a pris part... jusqu'à ce que sa mère la vouvoie comme elle me vouvoyait moi... Ahem... J'ai lu le trouble et la douleur dans les yeux de sa fille.
Et puis nous avons parcouru lentement les quelques mètres qui nous éloignaient de nos voitures respectives. Lorsque la mère fut installée dans la voiture, j'ai échangé quelques mots avec la Fille, pour notamment tenter de décristalliser la douleur du vous.

Puis, alors que je bouclais ma ceinture, j'ai entendu toquer à ma vitre, et j'ai reçu ces mots là : "J'envie les familles des résidents qui seront dans votre structure. Votre douceur, votre sourire qui illumine votre visage, votre bonne humeur que vous savez si bien transmettre et votre souci de l'autre feront de vous une directrice rare. Foncez", le tout débité à une vitesse folle et qui m'a laissée KO.

J'ai bredouillé un merci empreint d'émotion et je me suis retrouvée toute seule sur ce parking et le temps que je réalise, elle était remontée dans sa voiture. Leur voiture est passée devant la mienne, elles m'ont fait quelques grands signes de la main auquel j'ai répondu dans un brouillard.
C'est la deuxième fois que je reçois des mots aussi touchants venant de familles et que je me trouve conne à ne savoir quoi répondre.

Et quelques phrases me viennent alors en tête, sorties de mes diverses et nombreuses lectures sur la démence :
"Nous devons sortir de l'illusion de l'indépendance absolue pour reconnaître que la vraie vie humaine se vit dans la dépendance des uns par rapport aux autres, c'est à dire dans l'interdépendance."
"On ne peut concevoir la liberté autrement. La vraie liberté humaine c'est la capacité de faire du neuf, de l'inédit dans une situation de contraintes. Dépendances et indépendance sont contradictoires, mais pas dépendance et liberté."
"Le défi de faire de la dépendance un lieu où la relation peut devenir la plus authentiquement humaine, c'est à dire le lien d'enrichissement pour chacun des partenaires"
"Dans le cas de la démence, c'est la maladie elle-même qui fait office de masque, qui fait écran entre nous et la personne réelle. Plus nous nous concentrons sur ce masque symbolique, plus nous avons de difficultés à voir l'humain qui, toujours, se trouve derrière."

Et la dernière, celle qui me porte et qui j'espère me portera toujours :
"Nous ne sommes pas des "Alzheimer"... Nous sommes avant tout des êtres humains avec des qualités et des défauts, des hauts et des bas..."

Comments

[Drine]

Tu vois .. je savais .. :)

[titine]

superbes mots - qu'ils te portent dans tes moments de doutes et t'entrainent loin dans ce métier qui te colle à la peau comme une évidence ... forza !