Inexorablement...
Quatre semaines que je n'étais pas allée chez mes parents ; j'ai dû mettre trois semaines pour m'en remettre la dernière fois... alors, forcément, j'appréhendais la nouvelle épreuve.
Combien de temps cette fois-ci ?
Il y a aussi des choses dont on ne se remet pas, et les paroles très dures prononcées par mon père, je ne sais pas quand je vais les digérer... Un jour, sans doute, peut être...
Mon père dégringole à la vitesse grand V. J'ai été effarée par sa maigreur. Son pantalon ne le tient plus et sans ceinture, il choirait sur ses chaussures. Pourtant, à la dernière visite chez l'onco, ma mère a assuré de sa belle certitude que son poids s'était maintenu. Tu parles, Charles...
En appuyant là où ça fait mal, elle a fini par me lâcher qu'il était descendu à 53 kg... Mon père mesurait 1m73. Calculez l'IMC... Mais elle est toute fière d'avoir réussi à obtenir que leur médecin traitant prescrive des compléments alimentaires alors que l'onco n'avait pas voulu le faire, compléments qu'elle lui fait avaler, chaque jour à 16 heures. J'ai haussé les épaules et jeté les yeux au ciel.
J'ai tenté d'expliquer le sens des compléments alimentaires, et leur inutilité dans le cas présent. J'ai tenté d'expliquer qu'il fallait mettre en place un suivi nutritionnel, que si mon père perdait du poids, il perdait des forces, que s'il perdait des forces, il perdait des capacités à supporter la chimio, que s'il perdait des capacités à supporter la chimio, il donnait plus de chances encore à cette saloperie qui le bouffe. Alors j'ai demandé à ma mère si elle pouvait, sur deux semaines, juste noter les repas, et ce qu'il mangeait afin que je lance une évaluation par un réseau de diet'.
J'ai déclenché la grande scène du 2... Ma mère a fait couler ses jolies larmes de crocodile, l'autoflagellation... la victimisation... Ma mère, quoi ! Telle que finalement, elle a toujours été, d'aussi loin que je me souvienne. Tout ce que j'ai toujours exécré ; tout ce que je continue à exécrer.
J'ai demandé à MParfait si mes demandes lui paraissaient exhorbitantes. Il m'a rassurée, m'assurant que non, mais qu'elle ne voulait pas entendre ce que je lui disais, que c'était inutile de continuer.
Alors j'ai proposé, une nouvelle fois, de m'occuper de la mise en place d'un service d'aides à domicile : une infirmière pour gérer les piluliers (c'est compliqué, un accompagnement médical à ce niveau là), une aide soignante pour aider à la toilette (mon père a beaucoup de difficultés à se raser ; il faut voir son hygiène se dégrader), une aide ménagère pour la cuisine et le ménage (ma mère est elle-même handicapée par des problèmes de genou et de cheville qu'elle refuse de soigner depuis des années).
J'ai fini par hausser le ton, provoquant les paroles violentes de mon père.
Alors je n'ai plus rien dit, j'ai pleuré tout mon saoûl, rabougrie sur ma chaise, finalement, comme au "bon vieux temps".
Lorsque nous sommes passés à table, je n'ai rien dit non plus lorsque j'ai vu ma mère affubler mon père d'une sorte de bavoir, justifiant cet acte en disant qu'elle préférait laver la serviette plutôt que le pantalon. Je n'ai rien dit, des larmes ont sans doute perlé dans mes yeux, et j'ai juste eu un peu de mal à avaler ma salive, et le reste du repas.
Lorsque mon père est parti à la sieste, que je l'ai vu monter avec autant de difficultés les 18 marches qui séparent le 1er (lieu de vie + salle de bain) du 2ème (chambres), j'ai soufflé à l'oreille de ma mère qu'il serait peut être opportun d'envisager une nouvelle destination à l'arrière cuisine... peut être envisager quelques travaux pour pouvoir y installer un lit, pour le moment où il ne pourra plus les gravir, ces 18 marches, moment pas si lointain si les choses continuent à avancer aussi vite. Refus total et sans appel "on verra dans quelques temps..." Il faut dire que l'arrière cuisine, c'est un tel bordel depuis que je ne la nettoie plus, à chaque vacances...
Alors je ne me suis pas battue, je n'ai rien dit. Je suis juste allée chercher mon sac à mains, j'ai dit au revoir, et je suis rentrée chez moi, pleurant dans la voiture.
Je vais donc attendre leur longue dégradation à tous les deux, et je gèrerai le moment où les deux tomberont. Mais que l'on ne me parle plus jamais de maltraitance en EHPAD ; la maltraitance à domicile est bien pire ! Mais elle est familiale, alors elle est autorisée sans doute... car oui, là, en laissant faire ça, je suis maltraitante.