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Sous les apparences,
5 septembre 2022

Automne - 7 ou le côté obscur de la force

La Docteure Star Wars est une oncologue qui décoiffe : une petite quarantaine, grande, blonde, un sourire collé au visage, un discours percutant avec, toujours, un fonds d'espièglerie qui transpire de ses yeux et une déco de son bureau qui décoiffe aussi. D'ailleurs, en entrant, je crois que ça a été ma première phrase : ben là, au moins, on sait qu'on est passé du côté obscur de la force en arrivant ici, ce qui l'a faite marrer. Au grand désespoir de ma mère, d'ailleurs, nous avons beaucoup usé du deuxième, voire du troisième degré tout au long de nos rencontres, ma mère trouvant que je n'étais pas très respectueuse (entendre déférante) vis-à-vis de la médecin.
D'ailleurs, après le décès de maman, je spoile un peu la fin mais j'imagine bien que personne, ici, n'imaginait que Maman puisse survivre bien longtemps à un  néo du pancréas métastasé hépatique, je lui ai envoyé un petit mot pour la remercier de son accompagnement et lui ai écrit que même si j'espérais bien ne jamais avoir à la recroiser, pour le cas où la vie me réserverait un sale coup, c'est par une oncologue de sa trempe que j'aimerais être accompagnée...

Donc, le rendez-vous avec la Dre SW s'est déroulé d'une bien étrange façon. Après avoir poireauté pendant une petite heure (soupir...), elle nous a faites entrer et pendant une petite heure, a tenté par tous les moyens d'amener ma mère à conscientiser et à parler de sa maladie, et de sa gravité. Elle me lançait des regards désespérés à chaque fois que ma mère bottait en touche, répondant à sa question par une autre question qui n'avait pas grand chose à voir avec la question initialement posée.
La Dre SW a tout tenté : la douceur, la bousculade, la confrontation, l'empathie, l'incompréhension, le recadrage, l'humour, l'indignation... rien n'y a fait. Encore une fois, à aucun moment le mot cancer n'a été prononcé. Elle a lourdement insisté sur le pancréas, ma mère ramenant toujours uniquement et systématiquement au foie et usant de toutes les structures de phrase possible pour ne, jamais, prononcer ce putain de mot "cancer.
C'était un échange particulièrement étrange auquel j'assistais, ma mère m'amenant régulièrement à intermédier entre elles deux, ce à quoi je me refusais, et ce que l'onco redressait également immédiatement.

La question du traitement s'est posée et ma mère pouvait dire, dans la même phrase, qu'elle acceptait le traitement mais qu'elle le refusait. L'onco lui expliquait les effets secondaires et ma mère disait ok ; elle lui parlait de l'organisation pratique et ma mère se rétractait.
La question de mon éloignement est évidemment arrivée sur le tapis et ma mère a été d'une violence assez incroyable ; l'onco l'a recadrée immédiatement et fermement recadrée, lui rappelant le rôle d'un enfant, mais aussi les limites de ce rôle. Non, ce n'était pas à moi de prendre la décision pour elle, mais à elle, et à elle seule. Et d'entendre ce que je lui proposais plutôt que de se fermer comme elle le faisait dans son rôle de victime.
Elle était malade et moi, sa fille, je n'y étais pour rien et je ne pourrais pas me battre à sa place car là était le véritable problème : si elle n'acceptait pas de se relever les manches pour se battre,elle n'accepterait pas prescrire une chimio qui, sans combat, s'avèrerait délétère et n'aurait pas d'issue favorable. Elle est allée jusqu'à donner l'exemple d'une patiente qui a accepté la chimio "pour faire plaisir à sa fille" et qui, dès la deuxième série, a sombré parce qu'elle n'avait pas le mental pour supporter tous les aspects négatifs du traitement, ce qui a précipité sa fin de vie.

Et malgré tout cela, ces mots si durs, si fracassant (qui moi, en tous cas, m'ont fracassée), jamais elle n'a pas pu obtenir une réponse franche et claire de ma mère sur son acceptation, ou non, d'une chimio et, de guerre lasse, elle a fini par lui proposer deux semaines de réflexion et un nouveau rendez-vous, le 19 novembre à15h15, en lui précisant qu'elle ne lui laisserait aucune alternative, ce serait oui, ou non, et aucun autre mot que l'un de ces deux.

Je suis sortie de cette heure d'échange stupéfaite, épuisée et férocement inquiète pour la suite, me demandant si l'onco n'allait pas jeter l'éponge, purement et simplement.
J'ai eu la présence d'esprit de lui demander une prescription pour l'intervention du SSIAD parce que des clignotants d'urgence s'allumaient partout dans mon cerveau et pendant que nous patientions pour cette prescription, que ma mère m'a longtemps reprochée, la Dre SW m'a faite appeler par sa secrétaire au motif d'un quelconque papier et m'a fait rapidement part de sa stupéfaction à la réaction de ma mère, me proposant, si je le souhaitais, un entretien téléphonique elle et moi pour parler de tout cela, le lendemain dans l'après-midi, ce que j'ai immédiatement accepté tant j'étais, moi aussi, perdue.

Je n'oublierai, jamais, ce moment où elle m'a regardée en me disant : "Préservez-vous. Continuez votre vie, préservez-vous. Vous êtes à votre juste place, n'en bougez surtout pas, quoi qu'elle vous reproche et quels que soient les arguments dont elle usera".

Je suis repartie avec ces mots qui résonnaient, voire raisonnaient dans ma tête, une folle envie de me mettre en boule et de pleurer tout mon saoul. Mais il me fallait reprendre le volant et subir, sur les trente minutes qui nous séparaient de la maison, la colère de ma mère et son expression de sa profonde détestation de cette médecin parce que bon, elle avait bien compris, et depuis longtemps, qu'elle avait "un diable au niveau du foie", qu'il fallait pas la lui faire à elle, qu'elle n'était pas débile pour pas comprendre ! Et que ce n'était pas à elle, malade, de prendre la décision d'une chimio ou non, mais à la médecin de le faire. Point Final !

J'étais sonnée. Totalement et littéralement sonnée. Cette consultation était d'une violence assez terrible.

Nous étions le 5 novembre, les choses ne faisaient que commencer...

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Commentaires
R
Arf, le déni... je crois que j'y consacrerai un post, entier, tant j'ai à dire sur le déni...<br /> <br /> J'ai écrit ce post dans ma tête, cette nuit... sourire
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B
Permets-moi d'établir un parallèle. J'ai connu ce genre de situation il y a plus de trente ans chez mes beaux parents je débarquais dans cette famille, ma belle mère était dans un déni total de l'état de santé de son mari et ce jusqu'au bout, c'était pour moi absolument incroyable presque tragi-comique et totalement absurde.<br /> <br /> <br /> <br /> Bleck
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