Automne - 10 Le séisme...
Une fois la pièce vidée de l'ensemble de son contenu, il fallait choisir les couleurs. Là encore : grand moment. Je suis allée chercher les nuanciers (70 km aller retour) puisque ma mère se refusait à m'accompagner pour choisir elle-même les couleurs de ce qui pourrait, si un jour elle en avait besoin, devenir sa future chambre.
Le mardi fut donc consacré à ces courses, ces choix, et encore l'objet de disputes et méchancetés. Les nuanciers en main, elle a refusé de choisir, disant qu'on n'avait qu'à faire ce qu'on voulait puisqu'elle n'avait "pas son mot à dire" et même J, à un moment, a haussé la voix pour lui expliquer que tout cela, je ne le faisais pas pour moi, mais bien pour elle. Et que si vraiment elle estimait que c'était inutile, que si elle pensait vraiment qu'on faisait ça pour l'embêter, ben lui aussi il repliait sa caisse à outils et rentrait dans le sud.
Il s'est ensuite adouci pour lui expliquer que tous les jours il voyait des gens qui regrettaient de ne pas avoir anticipé la maladie, la vieillesse, le handicap... et qui passaient des mois hospitalisés (NDLR : il est dans le soin, et dans le soin lourd !) le temps que la maison soit adaptée et redevienne habitable. Qu'elle avait justement la chance que nous soyons, l'un et l'autre, sensibilisés à ces situations pour lui éviter ce qui, inévitablement, l'attendrait si les choses ne se faisaient pas maintenant.
Suite à ce recadrage, et même si elle n'en a pas démordu pour autant, son ton s'est un peu adouci et j'ai choisi des couleurs aussi apaisantes que possible.
Mais je ne cessais de marteler que jeudi matin, on partait, et que tant pis, je reviendrai le mardi suivant pour accompagner Maman à son rendez-vous onco du jeudi, mais que partir m'était indispensable, que j'avais besoin de sauver ma peau.
Inutile de préciser que ces trois jours ont remisé bien loin les questionnements sur chimio ou pas chimio... que je n'en ai jamais reparlé, même si cette décision était l'objet unique du rendez-vous en question.
Le mercredi, les travaux de la chambre se sont poursuivis, Maman a signé les devis pour la salle de bain après une énième engueulade, je suis allée choisir les faïences, après qu'elle ait, une nouvelle fois, refusé de m'accompagner.
Et toujours, au fond de moi, comme une plaie purulente qui creuse et pique sans cesse, chaque seconde : putain, mais c'est vrai cette histoire d'accouchement ou pas ????, j'ai un frangin ou une frangine quelque part ??? elle m'aurait menti toutes ces années ? Mais comment est-ce possible ? Et qui est au courant ?
Et ces questions qui tournent, en permanence, jour et nuit dans mon coeur et dans mon cerveau, obsessionnelles... et mon sommeil qui fuit, chassé par les cauchemars dès que je sombre un peu, épuisée... et mes cernes noirs qui se creusent, inlassablement... et cette boule, obstruant définitivement ma gorge...
Le mercredi 11 novembre, à bout de forces, je décide de créer un groupe whatsapp avec mes deux cousines et à 13h29, précisément, j'envoie le long message suivant :
A 19h05, et pas à 4 si à 6, alors que nous venions de passer à table et que je m'apprétais à prendre la première cuillère de potage, j'ai reçu la réponse de ma cousine :
"Coucou *****, cet après-midi nous avons parlé avec maman à qui j'ai dit la vérité, elle sait donc que tu es au courant et nous avons appris que le courrier partait à *****, pour être réexpédié à ***** car en fait, c'est à ***** qu'elle était. Elle ne serait allée à ***** qu'après la naissance d'une petite fille nous a annoncé Maman, petite fille qu'elle a abandonnée sous X. J'espère que toute cette histoire ne te bouleverse pas trop. Bisous"
J'étais en face de ma mère lorsque j'ai lu ces quelques lignes, je n'avais jamais ressenti ce malaise physique que j'ai vécu, là, précisément, et que je suis, bientôt deux ans après, incapable de le décrire alors que si je me remets dans le contexte, quelque chose d'approchant m'envahit.
Je me suis levée, je suis allée dans la salle de bain, j'étais parait-il livide, et lorsque je suis revenue, j'ai jeté mon potage et ai été incapable d'avaler quoi que ce soit.
Et je continuais à regarder ma mère, incréduble.
Nous partions le lendemain ; j'aurais été seule, je prenais la route immédiatement.
Le temps de me remettre un peu, j'ai répondu ceci :