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Sous les apparences,
4 février 2009

"Comme ça lave, un bon rire"*

Lorsque nous arrivâmes, Grégoire et moi, Il errait dans sa chambre, d'un mur à l'autre, une protection dépassant allègrement de son pantalon de pyjama. Il parlait sans cesse... des borborygmes d'où parfois quelques mots compréhensibles mais incohérents s'échappaient. Mes yeux croisèrent ceux de Monsieur Parfait ; j'y lus une profonde détresse...

Aller vers Lui et l'embrasser pour lui dire bonjour me coûta... Je pris soin de rentrer mes lèvres au maximum afin d'effleurer seulement ses joues des miennes ; il se relevait d'une gastro. Il salua Grégoire ne remarquant même pas son plâtre. La Reine Mère le souligna à haute voix. Il lui répliqua de son ton acerbe, identique à celui avec lequel il s'adressait à moi, en temps normal : "mais que crois-tu ? je suis au courant !", puis il repartit dans sa découverte des murs.

Mes yeux n'étaient pas assez grands pour tout voir...

Il se mit à nous tenir un discours circonstancié sur l'ouverture de l'angle de la porte... regrettant que les électriciens n'aient pas fait leur travail correctement. Grégoire, de toute sa nonchalance d'ado, regardait par la fenêtre, les yeux dans le vague. Je souhaitais que son cerveau soit lui aussi perdu dans le vague...

Parfois, un sourire s'esquissait sur mon visage que je tentais de réprimer autant que faire se peut. Les soupirs de la Reine Mère étaient éloquents alors que Lui, insensible à tout, continuait à aller et venir, d'une prise à l'autre, d'un angle de pièce à l'autre. Il s'arrêta et nous fixa, nous demanda si notre grand voyage s'était bien passé. Il ne nous laissa pas le temps de répondre et repartit dans un examen minutieux d'un ballotin de chocolats, déchiffrant l'étiquette tant bien que mal et en conclut que ces câbles étaient trop courts en reposant le paquet.

L'ambiance était surréaliste ; je limitais ma respiration au maximum, craignant l'éclat de rire à tout moment.

La Reine Mère décida qu'il était temps de partir. Je voyais mon calvaire prendre fin. Alors que nous nous préparions, il sortit de sa chambre et se dirigea vers une porte, au hasard. L'AMP qui se trouvait là nous expliqua que quelques heures auparavant, ils l'avaient trouvé couché dans le lit d'une autre pensionnaire, et que ça avait fait grand bruit lorsqu'elle avait voulu le ramener dans la sienne.

Alors qu'il entrait dans cette pièce, une petite grand mère en sortait... Ni une, ni deux, il l'embrassa vigoureusement, la laissant totalement coite, et nous ébahis !

C'est alors que mon rire fusa, et qui me connaît sait que j'ai le rire haut. Je ne pouvais plus le réprimer ! Je riais malgré moi, des larmes de rire roulaient sur mes joues, mon fou rire me paraissait inextinguible. Une libération et en même temps, une terrible solitude. Monsieur Parfait, après quelques secondes de stupéfaction, se mit aussi à sourire, Grégoire me regarda ahuri, et la Reine Mère pouffa à son tour. Je ne parvenais même pas à m'excuser tant je riais, debout dans ce couloir, l'autre tenant la petite grand mère par le bras tout en lui caressant les cheveux !

coq_1Cet homme qui me méprisait depuis quinze ans, qui m'avait écrasée de son regard la première fois qu'il m'avait rencontrée, qui m'avait jugée avant même de me connaître en était rendu à errer dans des couloirs, une couche dans le pyjama, à embrasser une femme que, quelques mois auparavant, il aurait écrasée d'un coup de talon tant elle paraissait d'un milieu simple et modeste.

Le coq se cassait gravement la gueule de son tas de fumier... Un nouvel horizon s'éclairait... Quinze années d'angoisse et de mépris venaient de disparaître d'un seul coup d'un seul. J'étais comme libérée d'un certain fardeau. Ce que je ressentais en cet instant était indescriptible. Rien à voir avec la vengeance, juste que peut-être que pour la première fois de ma vie, il ne m'impressionnait plus et j'obtenais la certitude que, dorénavant, il ne pourrait plus jamais me blesser ou me faire de mal. Une certaine forme d'apaisement.

Pour la première fois en quinze ans, j'étais détendue le temps d'un week end  à Nantes.

* Michel Picouly, l'enfant léopard

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Commentaires
P
Dans les salles d'op. le rire et le grivois servent à éliminer l'angoisse et la peur au cours des interventions délicates ! Alors, pourquoi le rire dans ton cas serait répréhensible ? <br /> Par contre, ton billet me brasse pour une tout autre raison ! Drine a raison, si seulement je puis partir subitement !
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V
Vala vala, j'arrive coco ! p'tin t'es une durasse dindasse ! :)<br /> <br /> Bon je vois qu'ici aussi le tas de fumier est de rigueur, sourire.<br /> <br /> J'ai ma réponse à ma question ! re-sourire!
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D
Elle peut pas utiliser ses doigts pour ecrire la feignasse ????
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R
=> Drine<br /> Ce qui est terrible, c'est que je n'ai même pas eu de peine de le voir ainsi... Mais moi aussi, je préfèrerais, et de très loin, avoir trépassé plutôt que de finir ainsi...<br /> => Eddie<br /> On n'arrive pas à savoir s'il a des moments de lucidité... ou s'il est toujours dans son monde, car même si parfois quelques mots sont cohérents, il dévie très vite vers n'importe quoi...<br /> => Dany<br /> Tu sais quoi ? ben en tous cas, ça m'a confirmé, si besoin était, que j'avais vraiment envie de faire le métier vers lequel je m'oriente... C'est bizarre, non ?<br /> => Fred<br /> Et tu sais que j'avais pas envie d'y aller... comme d'hab ! Et pour une fois, je me dis que j'ai bien fait, mais j'ai prévenu D en lui disant que je n'irais qu'une fois sur 3... et on a décidé que Greg irait une fois sur 2 ! <br /> => Jeolianne<br /> J'aime beaucoup le nom choisi pour cette unité, Nouvel Horizon. Je crois que l'établissement où il est n'a pas de nom... Mais là aussi, les couleurs des couloirs étaient très vives, très gaies... Heureusement que l'on progresse, dans ces formules d'hébergement !!!<br /> => Coco et tous les autres<br /> Val va bien, elle a juste la grippe. Ouf !<br /> => Titine<br /> Oui, mais c'est réducteur... je ne trouve pas les mots pour exprimer exactement le truc ressenti...
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T
apaisement est le mot qui me venait à l esprit aussi !
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